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POKEMON GO : Attrape nigauds ?

J’ai entendu une histoire qui m’a beaucoup fait rire : une mère appelle son fils au téléphone, elle lui demande ce qu’il fait. A sa grande surprise le jeune homme répond qu’il est au musée du Louvre avec un ami. La mère, imaginant que son fils s’est passionné pour l’art, lui demande s’il a vu la Joconde, ce à quoi le fils répond : « En fait, on est entrain de chercher des Pokémons ».

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À la base, il y a une idée géniale, prolongement naturel du concept de chasse aux Pokémons : les inclure dans l’espace réel grâce à la réalité augmentée et directement sur téléphone portable. En effet, voir un « Nosferatu » voler au dessus de la tête de son conjoint peut être amusant. C’est surtout le rêve enfin réalisé de millions de joueurs ayant capturé leur premiers Pokémons sur Game Boy. À l’époque le jeu avait fait un raz-de-marée sans précédent, devenant un phénomène de société extrêmement rentable car vendu à des millions d’exemplaires et décliné à toutes les sauces. Le pari de Nintendo n’était donc pas si risqué car reposant sur une licence puissante bien que ne déchainant plus les passions comme dans les années 90. Il fallait donc un plus, une grande nouveauté apportée par le savoir faire de la société américaine Niantic, spécialiste de la réalité augmentée et de cartographie.

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Capitalisée en partie par l’apport de Nintendo et Pokémon Company, Niantic l’est aussi par Google dont elle était une filiale il y a peu. La société a d’abord été créée en interne par John Hanke, ancien patron des programmes Street View et Maps de Google. Problème : celui-ci est impliqué de manière évidente dans le scandale Wi-Spy qui a vu Google voler les données personnelles de millions de personnes en Europe grace a leurs voitures photographiant les rues du monde à 360 degrés. Comme nous le dit l’excellente enquête de Sam Biddle pour The Intercept (lien à la fin de l’article), il n’y aucune raison d’avoir confiance en Niantic qui assume d’ailleurs totalement cette démarche en prévenant l’utilisateur Pokémon Go (ou l’enfant ayant la permission d’utiliser l’application) que ses données seront gardées et peut-être utilisées. On parle entre autres de géolocalisation et surtout de visuels, la réalité augmentée fonctionnant grâce à la caméra du portable. Pour faire clair, attrapez vos Pokémons pendant qu’ils attrapent vos données et votre vie privée dans ce qui ressemble à un espionnage en bonne et due forme dont les applications pourraient aller de la défense au commerce. Concernant l’aspect commercial, John Hanke admet volontiers vouloir « développer (dans Pokémon Go) une activité qui serait un complément des achats à l’intérieur de l’application », avec « un modèle de sponsoring » comme nous l’apprend l’enquête du magazine Challenges (lien à la fin). Plus simplement, Hanke et Niantic veulent avoir vos données et faire de l’argent. Bien sûr, on ne peut pas blâmer la quête de rentabilité, mais quel est ce modèle économique de sponsoring où les « pokestops » peuvent être placés dans les McDonald’s déjà partenaires ? Un modèle où certains utilisent des leurres numériques géolocalisés pour attirer les créatures imaginaires dans leurs commerces et donc augmenter leur clientèle ?

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Tout cela est bien sûr rendu possible par la force d’un jeu adoubé par des millions de personnes (nous ne parlons pas juste d’enfants) se trouvant à cheval entre réalité et fiction et pouvant être dépouillés de leur vie privée et poussés à la consommation avec une facilité déconcertante. Comme l’a assez bien analysé l’homme politique Jacques Cheminade dans son article « Arrêter l’exode vers le virtuel et la violence » : « La chasse aux Pokémons est (…) ridicule, car elle révèle une infantilisation consentie et une dépendance aux protocoles numériques, et dramatique, car elle est la première manifestation de masse d’un état de confusion entre virtuel et réel ». Pointant du doigt que le corps du joueur fait partie du jeu, il affirme en reprenant justement Yann Moix que le jeu abolit les frontières de « la virtualité et de la réalité, du faux et du vrai » ouvrant sur des concepts similaires mais plus violents de type Call of Duty. Cette « fuite immature » vers un virtuel vicieux et ambigu rappelant le film Matrix se heurte malheureusement à la réalité crue. Outre les reproches intrinsèques au jeu, de nombreux cas d’accidents, vols, agressions et autres dangers et désagréments bien réels ont été signalés.

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John Hanke est parait-il passionné de jeux vidéos. Il doit donc être extrêmement fier d’avoir créé le jeu de tous les records. Mais si des millions d’adultes y jouent, Pokémon Go représente t-il la maturité du jeu vidéo ? Non bien sûr. Déjà la posture assez ambiguë de Nintendo face à ce succès montre les limites du jeu. La firme, réputée pour sa volonté de transparence auprès du consommateur, semble obligée d’en accepter le succès puisqu’elle en bénéficie mais, dans le même temps, le projet Pokémon Go n’est pas totalement sous son contrôle à cause de la présence du géant américain Google et de la puissante Pokemon Company qui gère l’image de personnages dont l’aura est comparable à ceux de Walt Disney. Jeu vidéo novateur mais soulevant des questions épineuses, il ne représente pas un avancement vers une maturité du jeu vidéo malgré une innovation indéniable. Cette maturité en terme de contenu, de gameplay, de qualité artistique et d’histoire est à chercher ailleurs. Nous sommes en ce moment même dans un âge d’or du jeu vidéo. Un âge d’or discret puisque ce sont les producteurs indépendants qui nous offrent les chefs-d’œuvre actuels. Le plus récent est certainement Inside du studio danois Playdead, sorti presque au même moment que Pokémon Go. Mais pourquoi tant de joueurs préfèrent Pokémon a Inside ? Et surtout, pourquoi Inside, une dystopie, semble dépeindre un monde autoritaire, le genre de futur vers lequel des sociétés comme Google veulent nous emmener ?

Enquête de Sam Biddle : https://theintercept.com/2016/08/09/privacy-scandal-haunts-pokemon-gos-ceo/

Article de Challenges : http://www.challenges.fr/high-tech/jeux-video/20160816.CHA2444/qui-est-derriere-niantic-la-start-up-a-l-origine-de-pokemon-go.html

Article de Jacques Cheminade : http://www.jacquescheminade2017.fr/Pokemon-GO-arreter-l-exode-vers-le-virtuel-et-la-violence

Article du Monde sur les relations entre Nintendo et ses partenaires : http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/07/13/derriere-le-succes-de-pokemon-go-les-relations-complexes-de-nintendo-et-the-pokemon-company_4968699_4408996.html

Stève Albaret

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