« Expérience sociale » ou viol filmé?

« Expérience sociale » ou viol filmé?

Nous observons un phénomène assez inquiétant sur les plateformes de vidéos en ligne : les « expériences sociales » ou « social experiment » à l’international. Elles ressemblent à des caméras cachées classiques, blagues vidéos parfois savoureuses et comiques qui pourtant n’obtiennent pas toujours la complicité comme en témoignent les problèmes rencontrés par Rémi Gaillard dans l’élaboration de certaines de ses vidéos :

https://www.youtube.com/watch?v=EsELpX_qY6k

L’expérience sociale n’a rien à voir avec le canular car, si elle garde le principe de caméra cachée, elle ne comporte aucune dimension comique, d’où l’amalgame entre « prankster » et « social experiment », terme qui camoufle en fait un rapport malsain de voyeurisme que des gens bien nés ou simplement assoiffés de buzz et de vues développent vis-à-vis de mondes inconnus : la pauvreté étant le plus facile.

Car il s’agit bien de facilité : ces vidéos donnent le sentiment d’impunité quant à la possibilité de violer la vie privée de quelqu’un puis de répandre son image sur internet pour le détruire psychologiquement et le ridiculiser publiquement. De plus, la viralité incroyable de ces « expériences » fournissant un spectacle impressionnant de bassesse rend difficile le droit à l’oubli des personnes piégées, ces vidéos renforcent donc les écarts sociaux et semblent distribuer les bons points aux bons sujets et les mauvais aux autres. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir sur internet des vidéos où le dispositif « peeping tom » de l’expérience sociale se retourne contre le voyeur qui prend peur devant un sujet filmé récalcitrant.

La perversité du procédé utilisé par les « pranksters » comme OCK.TV peut aller très loin et viser n’importe quel sujet. Dans le cadre d’une réalité crue, il faut donc être conscient que cette pratique est parfois soumise au retour de bâton de gens s’estimant violés. Le plus bizarre étant que le voyeur puisse se sentir simplement agressé, sans remettre en question sa responsabilité dans la réaction négative du sujet filmé. L’expérience sociale est donc un terme à prendre avec précaution surtout si, comme souligné dans la vidéo, la perspective d’une diffusion vidéo massive et lucrative ternit davantage la soit disant bonne idée de départ en commercialisant une véritable pornographie du réel via une monétisation des droits d’auteur. Même si rien ne dit que ces vidéos présentent des faits authentiques, leur effet négatif est bien réel. On notera que « l’homme pauvre » de la vidéo précédente donne une bonne démonstration de ce qu’impliquent réellement ces nombreuses expériences présentées comme pleines de bons sentiments.

Si vous souhaitez vous construire une véritable expérience sociale, nous vous conseillons de ranger votre caméra et de contacter une équipe de maraude comme ActionFroid dont vous nous parlions dans un précédent article (/actionfroid/).

Si vous tenez malgré tout à empoigner la caméra, inspirez vous plutôt d’Antoine de Maximy, créateur et filmeur du célèbre J’irai dormir chez vous, qui adopte une démarche saine et claire permettant une possibilité de rencontre et d’échange (la fin de J’irai dormir à Hollywood en est un bel exemple). La vidéo et la photo sont des outils précieux au pouvoir dévastateur, s’en servir avec réflexion et parcimonie est donc nécessaire.

Stève Albaret

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