ADAM MAGYAR : le temps, l'espace et les gens

ADAM MAGYAR : le temps, l’espace et les gens

Photographier, filmer … ou scanner. C’est la question posée par des sociétés telles que Matterport, promoteurs et développeurs de ces “nouvelles” techniques dont les essais laissent entrevoir les possibilités : énormes. Scan, plénoptique, VR, 360° : ce sont peut-être les clefs du futur de l’image dont le traitement devient de plus en plus virtuel et post-produit tout en offrant la possibilité de l’interactivité (voir les technologies développées par Fraunhofer ou Lytro). Mais pour quel point de vue ? Le point de vue est l’élément central de toutes œuvres : d’une narration, d’un récit, d’une photo, d’une fiction comme d’un documentaire. Les artistes doivent donc s’approprier les outils à disposition pour raconter leurs histoires. De l’Iphone de Wil Aime aux bricolages de Miroslav Tichý en passant par l’Imax de Christopher Nolan, chacun dompte son médium pour donner son point de vue.

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Le hongrois Adam Magyar, sorte de double moderne de Tichý, est peut-être le premier à s’être intéressé à l’application artistique du scan. C’est même un pionnier dans ce domaine puisqu’il n’a pas attendu que la technologie soit commercialisée pour y penser et surtout l’adapter à son point de vue. Si ses œuvres se relient à beaucoup d’autres allant des chronophotographies de Muybridge aux jeux vidéos de Arnt Jensen, elles sont singulières dans leurs techniques de fabrication qui offrent un regard neuf et très actuel sur le sujet de prédilection de Magyar : la foule. Recherche artistique et anthropologique, Magyar scanne afin de manipuler le temps. S’il a été ennuyé par la photographie conventionnelle dans sa jeunesse, force est de constater que les photographies de la série Urban Flow racontent grâce à la technique du scan une multitude d’histoires humaines dans le flot temporel, fini l’ennui.

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Pour arriver à un tel résultat, Magyar a d’abord sélectionné des lieux capables de lui offrir un passage continu à scanner et a ensuite conçu la technologie appropriée. Il retient alors la technique du photo-finish des courses, les sujets défilant devant le capteur comme une feuille dans un scanner. Il crée lui-même son matériel pour l’occasion afin de diminuer les coûts, les prix d’une caméra de type FinishLynx étant prohibitif. Il code également le programme, le capteur ne doit filmer qu’une portion d’environ 1 pixel de largeur à une cadence extrêmement élevée. Une fois en boîte, les fragments sont empilés et créent cette unique direction de la marche, illusion inhérente à la technique du scan, mouvement physique et symbolique habitant la photo finale tirée sur grand format en très haute définition dans un noir et blanc neutralisant la multitude des sujets en un flot homogène. La où une trilogie Qatsi accélère et ralentit le flot humain pour le percevoir, Urban Flow le condense et le dévoile.

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Magyar pousse l’expérience artistique de Urban Flow pour arriver à Stainless, deux séries centrées sur la foule dans les métros des grandes villes (Paris, Berlin, New York, Tokyo, Shanghai, Hong Kong, Londres, Rome). La première partie de Stainless est une série photographique ressemblant à première vue à Urban Flow. Une différence de taille pourtant, la temporalité : si Urban Flow rassemble sur un tirage un flot humain continu dans une temporalité “normale” et perceptible, la partie photographique de Stainless montre l’instant imperceptible d’une rame de métro défilant à toute allure dans les couloirs sombre du réseau ferré souterrain. Soit une fraction de seconde figée de la vie d’individus partageant l’espace d’une boîte de tôle, stainless, inoxydable. Un peu comme les Wachowsky arrêtent le temps de leur Matrix, on note que le point de vue de Magyar est extrêmement précis, autant dans le choix des lieux : les fenêtres des buildings formant les lignes continues de Urban Flow et le noir du métro brouillant les pistes sur la temporalité et unifiant les séries et l’œuvre de Magyar par mimétisme ; son point de vue se distingue également et encore une fois par le besoin de techniques complexes et novatrices que Magyar invente au gré de l’inspiration.

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Tout d’abord il s’équipe d’une caméra dite “line scan” habituellement utilisée pour des contrôles de qualité en usine, sur des objets en mouvement rapide. Grâce à cela, il pourra scanner les trains. Plusieurs soucis techniques compliquent la tâche, tout d’abord la police qui l’empêche d’utiliser un trépied, qu’à cela ne tienne Magyar met tout son attirail dans son sac à dos (dont un ordinateur pour gérer la grande quantité de données) et filme à la main ce qui l’oblige à élaborer un programme corrigeant les distorsions également liées à la vitesse changeante des trains. Autre problème de taille : la lumière. Adam fabrique donc une cellule mesurant la lumière afin de repérer les meilleurs points de vue. Lumière toujours, il corrige en post-production le “flick” ou vibration de la lumière qui strille le scan des trains. Le résultat est bluffant.

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La deuxième partie de Stainless est peut-être le point d’orgue de l’œuvre de Magyar. Afin d’explorer au maximum la tension entre temps arrêté et le temps en mouvement, il obtient une caméra Optronis afin de filmer à des cadences extrêmes et se place cette fois à l’intérieur de la rame. Résultat indescriptible, voyez vous-mêmes. On attend la suite.

Liens utiles :

Excellent article de Joshua Hammer : https://medium.com/matter/einsteins-camera-88aa8a185898

Le site d’Adam Magyar : www.magyaradam.com

Stève Albaret

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