Venise c’est le Rialto, la Piazza San Marco, le carnaval, les masques, les gondoles … autant de raisons d’attirer le regard du voyageur et pourquoi pas celui de l’investisseur. Car le nom Venise est naturellement l’assurance d’une notoriété, d’un prestige et d’une renommée internationale pour qui réussi à l’exploiter et à l’exporter. Encore faut-il trouver un vecteur adéquat : le football masculin en est un. A la fois très mondialisé et très implanté en Europe, notamment en Italie (4e championnat européen mais longtemps 1er et doté d’une histoire et d’un palmarès extrêmement riches), l’idée qu’une ville au rayonnement international telle que Venise ne possède qu’une équipe d’amateurs surprend donc et les investisseurs se sont longtemps penché sur cette possibilité pas si folle de faire de la cité des Doges une marque internationale dans le domaine ultra-concurrentiel du foot européen.
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Dans le cadre d’un tourisme footballistique mondialisé, le Paris-Saint-Germain et Chelsea sont en partie des modèles à suivre pour le nouveau board américain du club vénitien. Le nouveau président du club Joe Tacopina, avocat new yorkais renommé reconverti depuis plusieurs années dans le calcio, a successivement fait partie des administrations américaines des clubs de l’AS Roma et de Bologna avant de flairer le rachat du petit poucet FCB Unione Venezia à des propriétaires russes n’ayant pas su développer le fort potentiel du club lagunaire. Comme il le dit lui-même, la Serie A est économiquement sous-évaluée, la faute sans doute à un conservatisme du football italien qui voit les Berlusconi ou Moratti céder difficilement les rênes sans garanties. Si accepter la mondialisation et le marketing au sein d’institutions sportives est vu comme un sacrilège par les tifosis, un club sans grande histoire ni palmarès comme Venezia est le lieu idéal pour expérimenter un système ultra-libéral qui se heurte souvent à la tradition. 21 juillet 2015 : profitant de leur entente avec le nouveau maire vénitien Luigi Brugnaro, le groupe d’investisseurs américains mené par Tacopina fait main basse sur le club pour une somme dérisoire à condition d’assainir des comptes dans le rouges et de payer les onéreuses inscriptions au championnat. Au final, quelques millions suffiront pour remettre le club en route, une broutille dans un secteur à la croissance constante.
Afin de professionnaliser le club, deux grandes lignes directrices, intimement liées entre elles, vont être mises en place à commencer par le recentrement de la communication sur le nom “Venezia”. A peine arrivés, les américains “tuent” le FCB Unione Venezia alors en Lega Pro italienne (3e division) et recréent sur ses cendres le Venezia FC, choix de nom pragmatique afin de bénéficier de l’image de la ville. Ils repartent de la Serie D (4e division). Les tifosis de Mestre grognent, le nom original représentait la fusion de feu leur équipe avec le Venezia en 1987, mais les couleurs restent les mêmes : “arancioneroverde” pour l’orange de Mestre et le noir et le vert de Venise. S’en suit une profonde réorganisation de l’identité du club, passant obligatoirement par un logo mettant en évidence l’appartenance vénitienne. On notera la présence des seules écritures “Venezia FC” dans une police plus épaisse mélangeant les intemporelles capitales d’imprimeries à empattements avec de discrètes séparations rappelant les lettrages militaires (stencil) et trahissant peut-être un peu la présence de décideurs américains. Les mentions sont accompagnées du Lion de St Marc, symbole traditionnel de la ville comme du club, qui fait désormais face aux spectateurs et à ses nouvelles ambitions. Les curieuses dominantes blanches de l’ancien logo sont oubliées au profit du noir traditionnel ornée d’orange et de vert, le blanc restant ayant un rôle purement fonctionnel puisqu’il améliore la lisibilité. Un choix qui sonne d’autant plus juste à l’heure où la grande Juventus de Turin opte pour un logo sans rapports avec son histoire ou sa ville. A partir de ce nouveau blason, une charte graphique reconnaissable, à la fois neuve et en accord avec l’identité revendiquée par la “tifoseria”, va envahir la communication du club et la rendre efficace. La faible mise de départ des investisseurs et le classement sportif en bas de la hiérarchie permettent de mettre le paquet : site internet flambant neuf et supports de communication multi-platformes mis en place par l’entreprise génoise spécialisée Dpsonline, community manager (facebook, twitter, youtube et instagram fonctionnent à plein régime), CEO (marketing domestique), présentation en grande pompe, bus et voitures au couleurs du club … Le noir immaculé, possible anti-thèse du blanc madrilène dans l’utopie américaine, tape à l’œil de ceux qui croisent le lion orange, noir et vert. Voyez donc la différence éclatante entre le grand Parma, équipe dotée d’un magnifique palmarès mais sortant d’une faillite sans précédent l’ayant condamnée à la rétrogradation, et le Venezia, promesse sans cesse déçue (une coupe d’Italie en 1941, plusieurs championnats de divisions inférieures et des ambitions faisant le yoyo).
L’histoire nous dira si les deux clubs se retrouveront en Serie A
Si le FC Barcelone est devenu une marque mondiale et rentable, c’est avant tout grâce aux résultats sportifs. Le travail sur l’image du Venezia FC devait donc s’accompagner d’investissements importants sur le terrain ce qui constitue aujourd’hui la deuxième ligne directrice d’un projet qui commence à porter ses fruits. Actuellement, le Venezia FC est remonté en Lega Pro (3e division) et se trouve en première position de la poule B ce qui lui donnerait en fin de saison un accès direct à la rude Serie B (2e division) sans passer par d’épuisants play-offs. Le Venezia est aussi en lice en Coupe d’Italie de Lega Pro. Tout cela est rendu possible par une gestion cinq étoiles des ressources humaines : dans la continuité tout d’abord en gardant le directeur général Dante Scibilia ainsi que les employés fixes du club puis dans la nouveauté en s’attachant les services du très réputé directeur sportif Giorgio Perinetti qui a su recruter intelligemment afin de constituer un groupe aguerrit autour du vétéran Domizzi, défenseur de Serie A durant quasiment toute sa carrière, il a naturellement hérité du brassard de capitaine. La recherche de l’entraineur était également importante tant le “Mister”, comme on l’appelle de l’autre côté des Alpes, est une figure prépondérante dans le très tactique “calcio” italien et une interface médiatique qui en fait le visage et le cerveau du club. Quoi de mieux qu’une légende du football comme Filippo Inzaghi, au chômage après une première expérience trop complexe sur le banc du grand AC Milan, pour remplir le rôle ? Cette signature représente un avantage sportif indéniable ainsi qu’un coup de projecteur national et international sur le club qui place une authentique star en tête de gondole d’un club encore en 3e division ! Sa mise en scène aux côtés de Tacopina dans la communication du club renforce la crédibilité de l’italo-américain et des riches investisseurs qui peuvent se frotter les mains.
L’expansion se poursuit sans relâche : le club s’est déjà ouvert au football féminin dont l’importance augmente année après année, il s’implique dans la vie quotidienne locale, il se met en valeur dans les médias avec des articles et interviews entre autres italiens, français et américains qui montrent une volonté d’établir sa renommée en Italie et en Europe mais également aux Etats-Unis où des petits groupes de supporters ont été créés à partir du Banter club à Brooklyn, devenu officiellement bar de supporters “arancioneroverdi”. Les réseaux sociaux sont incontournables dans cette quête internationale alliant football et tourisme. Le club fait parler de lui, et espère bien sûr rejoindre l’élite au plus vite afin de tirer davantage profit d’une image et d’un nom attirant plus de 20 millions de touristes chaque année dans une ville comptant 300000 habitants. Pourtant, une épineuse question reste en suspend : quid du stade ? L’actuelle enceinte recevant les matchs du Venezia est le très modeste Pier Luigi Penzo. Faisant partie des plus vieux stades italiens avec 104 ans d’âge, des plus vétustes également malgré un rafraichissement récent, il est très petit et possède l’inconvénient d’être très difficile d’accès car appartenant au centre historique, du coup il est souvent vide. Déjà validé par le maire qui voit certainement d’un bon œil le retombées économiques futures, le judicieux projet de Tacopina serait la construction à Tessera, à côté de l’aéroport, d’un nouveau stade d’une capacité de 25000 places avec pour couronner le tout un toit en verre de Murano. Les spécialistes du tourisme de la “Reine de l’Adriatique” se frottent déjà les mains comme le montre le partenariat entre le club et l’AVA, association des hôtels de Venise. Mais tout cela nous ramène finalement à l’ancienne présidence du fameux Maurizio Zamparini, connu pour ses folies et ses changements d’entraineurs au Palermo, qui achetait le Venezia en 87 pour l’amener en Serie A 10 ans plus tard. Il abandonnait finalement le projet sportif vénitien face à l’impossibilité de construire un stade pérennisant dans le dur une équipe au nom prédestiné à briller. Le Venezia sombrait alors pour ne relever la tête qu’à l’été 2015, quand le club a finalement su utiliser l’image de marque de Venise. La promesse sera t-elle tenue ?
Stève Albaret