JEAN-PIERRE MELVILLE : Cinéaste de renom

JEAN-PIERRE MELVILLE : Cinéaste de renom

La rareté des travaux consacrés au cinéaste Jean-Pierre Melville ne permet pas assez de rendre compte de l’importance de sa cinématographie. A l’image d’un Francesco Rosi quasi-inventeur du “film enquête”, Melville restera lié à ce qu’on appellera le “film d’hommes”. Référence pour des cinéastes du calibre de John Woo, Martin Scorsese ou Jim Jarmusch, des membres de la Nouvelle vague comme lui cinéphiles, il a su développer un style singulier avec ses personnages masculins sombres, sa violence abstraite et ses références américaines comme le rappelle son amour pour le film Asphalt Jungle de J. Huston. Personnage incontournable du cinéma français des années 60, ses obsessions ont forgé sa fiction. Et ça saute aux yeux dans ce portrait réalisé par André S. Labarthe :

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L’existence des Studios Jenner, possession de Melville, souligne combien le réalisateur était dédié à sa vision. Si en début de carrière son style n’était pas encore affirmé comme le montrent sa collaboration expérimentale avec Jean Cocteau ou son mélodrame Quand tu liras cette lettre, l’intimiste Le silence de la mer, son premier long-métrage adapté de Vercors, peut très bien servir de préambule à son œuvre : un film marqué par la guerre et déjà un film d’hommes. Ce huit-clos, parfait pour faire ses armes et ses preuves à moindre coût, appellera d’autres films à la direction ascétique, reflet de la destiné tragique du héros melvillien dans un univers européen teinté de références américaines. Mis à part Léon Morin, prêtre qui renoue avec l’intimisme de son premier film, la filmographie de Jean-Pierre Melville parle de policiers, de truands, de combattants et de la mince frontière qui les sépare et entraîne leurs morts. Des figures austères, des zombies sans passé et sans famille qui ne peuvent qu’être campé par des acteurs de haut niveaux, des têtes d’affiches comme Delon, Ventura, Belmondo, Volontè, Meurice, Périer, Reggiani, Montand, Vanel… A cette liste on peut ajouter le méconnaissable Bourvil, dont l’usage à contre emploi révèle la créativité du cinéaste. A une époque ou les stars françaises attirent le public, le cinéma de Melville arrive à point nommé pour se servir de cette célébrité comme d’une accroche affective pour des spectateurs en quête d’identification surtout dans un genre aussi balisé que le policier. Là où Melville surprend c’est dans sa démarche presque bressonienne dans sa direction d’acteurs. D’ailleurs, le fait qu’un cinéaste comme Fassbinder se soit intéressé à son travail fait sens, surtout quand on connait la propension de l’allemand à repousser le spectateur hors du film en l’empêchant de s’identifier aux personnages par des procédés variés : underplay, absurde, profil des personnages. Nous devons regarder de loin, analyser sans se laisser emmener par la fiction. Des caractéristiques qui ressemblent étrangement à celles de Melville et qui font de ce dernier un créateur tout à fait atypique qui a pu faire des films de genre novateurs et contrôler leur production grâce au respect gagné auprès des grands acteurs de l’époque.

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S’il est plus léger que les autres (au moins dans au début de l’histoire), Bob le flambeur initie la série de films d’hommes comme “genre” indissociable de Melville, d’autant que sa réalisation correspond à la mise en service des Studios Jenner et donne du coup le sentiment d’un Melville libre de faire ce qu’il veut. C’est en effet à cette époque qu’il achète ce hangar du 25 bis rue Jenner dans le 13e arrondissement de Paris. Il centralise ainsi sa production et sa vie privée ce qui lui permet d’avoir les meilleures conditions pour son travail créatif. Après la parenthèse Deux hommes à Manhattan qui “débloque” le fantasme américain du cinéaste, et le déjà cité Léon Morin, prêtre, Melville réalise Le Doulos, classique du polar français qui entérine carrément la patte d’un cinéaste indépendant dont le polar ou film noir devient l’unique terrain de jeu.

http://www.vodkaster.com/extraits/cercle-rouge-arrivee-a-gare/488058

Suivent les célèbres L’aîné des Ferchaux, Le deuxième souffle, Le Samouraï, L’armée des ombres, Le cercle rouge et Un flic. Des films qui se ressemblent : l’homme est central, il est stylisé et devient ce personnage grave certainement inspiré par les années militaires de Melville. Si le noir et blanc présente des avantages naturels pour le polar, Melville utilisera aussi la couleur avec brio pour magnifier ce héros tragique et sombre au centre de ces films. Son dernier film, Un flic est désaturé, bleuté, il en devient presque abstrait pour imager la négativité. En grand formaliste, Melville ira jusqu’à imposer des sortes d’uniformes à ses personnages masculins, panoplie chapeau et imperméable, ce qui renforce la confusion entre les belligérants et qui a pour bienfait d’annuler tout manichéisme. Cela inspirera Tarantino pour son Reservoir Dogs. Peut-être est-ce ça le film d’hommes au fond, un aspect caricatural parfois mais une épaisseur humaine qui permet aux personnages d’être très nuancés ce qui évite les poncifs et enrichit automatiquement l’intrigue. Tous ont un poids dans l’intrigue et sont autant de potentielles tensions autour desquelles pourraient s’articuler l’histoire. Un film comme Le cercle rouge possède 4 personnages principaux par exemple. Ces personnages de fiction à la fois charismatiques et complexes reflètent finalement assez bien le cinéaste qui aura tracé sa route hors des chemins balisés. Marqué par la guerre, il aura à cœur de réaliser ses fantasmes dans le cadre de valeurs viriles. Il a d’ailleurs déclaré avoir eu des rapports fraternels avec des SS et faisait partie d’un comité de censure cinématographique. Fidèle à ses idées contradictoires qui faisaient le sel de son cinéma à la fois novateur et universel, il ne s’est jamais laissé abattre par les difficultés. Il continuera d’ailleurs à aménager sa vie en fonction de son œuvre après l’incendie de ses studios en 67. Malheureusement sa carrière s’arrête brutalement en 1973. Une crise cardiaque à 55 ans.

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Un peu oublié, il est important qu’un tel cinéaste reprenne place dans la mémoire collective française.

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Stève Albaret

 

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