Guillaume Tordjman : les moyens et les idées

Guillaume Tordjman : les moyens et les idées

Guillaume Tordjman sait où il va et n’a pas peur de son ambition. Si la MJC de Limeil-Brévannes a été la première étape de son parcours menant à la réalisation, il arrive à un moment important de sa carrière : le grand saut du long-métrage de cinéma. Nous avons voulu connaître l’homme afin de comprendre sa détermination et sa persévérance. Un zest de niaque pour qui a des moyens modestes et de grandes idées.

D’où vient ton envie de faire du cinéma ?
Au départ, je voulais être soit comédien, soit pompier. J’ai obtenu les deux examens, celui des pompiers et le Cours Florent que j’ai choisi finalement. Ce qui est drôle, c’est que pour le premier rôle télé que j’ai eu, je jouais un pompier ! En étant comédien, je pouvais interpréter n’importe quel type de personnage. En faisant des castings, je me suis confronté au regard du réalisateur, je me suis rendu compte petit à petit que moi aussi j’aimais raconter des histoires, que mon imagination m’amenait à mettre en scène. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, j’ai écrit un premier court-métrage (Reflets de la réalité, 2010) que je suis parti tourner à New York, ville idyllique pour tout comédien. Cette aventure m’a fait prendre conscience que tout est possible. J’ai découvert le métier de réalisateur, la passion du découpage technique (story-board écrit) et la construction des personnages : je ne m’écris plus de rôles sur mesure, même si l’interprétation est toujours une passion pour moi.

Connaissais-tu des personnes du milieu du cinéma à tes débuts ?
À la base je suis aussi prof de karaté. J’ai commencé à 16 ans et j’en ai 30, ça fait donc 14 ans (comme quoi j’étais pas si nul en maths). La réalisatrice Uda Benyamina amenait son petit frère aux cours et mon père, qui est aussi professeur de karaté, a appris qu’elle cherchait un comédien pour jouer dans un spot télévisé. À chaque fois qu’il entend parler de cinéma, il vante les mérites de son fils ! Donc grâce à lui, j’ai pu intégrer le stage d’initiation au cinéma de l’association fondée par Uda : 1000Visages. J’ai découvert tous les postes de travail sur un film. Après ça, je suis parti à New York où j’avais un ami comédien qui m’a présenté à une boîte de prod. Tout s’est fait là-bas. Jusqu’à maintenant la dimension de réseau est fondamentale pour moi : on peut peut-être faire son film seul mais moi j’aime être conseillé, avoir des retours, je ne veux pas être dans ma bulle. Même si le budget est serré c’est un travail d’équipe, que ce soit avec des jeunes ou bien avec des professionnels comme maintenant.

Qui sont tes modèles ?
Christopher Nolan dont je suis un très grand fan depuis Memento jusqu’à maintenant avec Interstellar. J’aime ses découpages techniques, sa noirceur et ses personnages qui ne sont pas manichéens. Je retrouve ça aussi chez David Fincher que j’aime beaucoup aussi, Fight Club, Seven… Les personnages sont ambigus : on ne sait plus qui on suit, qui on aime et en même temps on s’attache à eux. J’aime aussi Spielberg qui est grandiose : Jurassic Park que j’adore, Indiana Jones, la sincérité de La liste de Schindler, l’émotion et le spectaculaire d’E.T. aussi. On a envie d’y croire et il nous fait voyager. Le dernier réalisateur dont je m’inspire beaucoup et dont j’ai beaucoup de mal à dire le nom, c’est M. Night Shyamalan. En France, j’aime Jacques Audiard dont le film Sur mes lèvres m’a mis une bonne claque. Quoi qu’on dise, il reste authentique et essaye de ne pas être formaté.

Un film ?
The Dark Knight de Nolan m’a chamboulé. Mais c’est un film arrivé après mes 20 ans donc si je devais donner le nom d’un film plus ancien, davantage à l’origine de mon envie de cinéma, je dirais Gladiator de Ridley Scott qui m’avait beaucoup impressionné à l’époque. En tant que professeur de mise en scène au Cours Florent, la question que je pose à chaque fois aux comédiens c’est « Quel rôle auriez-vous aimé interpréter ? ». Moi je sais que ce rôle de gladiateur me fascinait et en tant que réalisateur c’est aussi une histoire hallucinante à raconter. J’aurais aimé le réaliser.

Pour toi quelles sont les qualités nécessaires pour percer dans le métier ?
Première chose, je pense qu’il faut croire en soi. Pour fédérer des gens, tu dois savoir ce que t’as envie de faire, comment tu veux raconter telle ou telle histoire. Si tu as des doutes, il ne faut pas les montrer. Il faut avoir une ligne droite, une vision. J’entends souvent dire que toutes les histoires ont déjà été racontées, mais c’est la manière dont on les raconte qui est différente. Chaque réalisateur doit avoir de l’optimisme et l’envie de regarder le film qu’il créé. Il faut aussi être ambitieux et ne pas avoir peur de l’échec, car ça arrive. Mais malgré dix échecs, un de vos travaux sort du lot et tout s’enchaine.

Et l’envie ?
L’envie se traduit par l’ambition. Moi, je me donne toujours des objectifs assez élevés : « Il faut toujours viser la Lune, car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles » (O. Wilde). L’envie est toujours en toi.

Comment as-tu développé certaines caractéristiques requises par le métier de réalisateur ?
Je connais mes qualités et mes défauts, ce qui est important car il faut montrer ce que tu as de meilleur à partager. La pratique du Karaté m’a permis d’apprendre beaucoup sur moi. Par exemple, certains réalisateurs sont super bons mais ont du mal à communiquer avec leurs équipes, pourtant je pense que c’est une qualité qu’un réalisateur doit avoir. Tout cinéaste regardant ses premiers travaux reconnait ses erreurs. Même si je ne dénigre jamais ce que j’ai pu accomplir par le passé, je suis fier de tout ce que j’ai fait, c’est vrai qu’en revoyant mon court-métrage Le vernissage (2011) je me rends compte que d’un point de vue narratif, j’étais buté sur le côté mystérieux alors qu’on aurait aimé en savoir plus sur les personnages : « trop de mystère tue le mystère ». J’ai ainsi appris que le « too much » est une chose à savoir doser. Encore maintenant, ma productrice Marie Vanglabeke me complète dans le sens où moi je suis très impatient tandis qu’elle me freine : « Non Guillaume, il faut retravailler ci et ça, prenons notre temps, ils ne le liront qu’une seule fois ». L’attente est souvent bénéfique, même si je me dis parfois qu’il faudrait aller le plus vite possible. On sait que les scénarios envoyés aux producteurs ne sont parcourus qu’une seule et unique fois, raison de plus de prendre le temps nécessaire.

Comment as-tu constitué ton réseau professionnel ?
On a tous besoin d’acteurs, de techniciens, de producteurs, de distributeurs, etc. Tu peux être un très bon travailleur mais, tout seul, tu ne fais pas de films. Certains disent souvent qu’ils iront au Festival de Cannes quand ils auront quelque chose à défendre. Moi la première année j’avais quoi à défendre ? Une bande démo, voilà. J’y suis allé en tant que comédien avec simplement ça dans mes mains et parmi les quinze rencontres que j’ai faites, une a été bonne : un ami qui travaille dans la presse et qui m’offre la chance d’être présenté aux bonnes personnes. Six ans plus tard, cet ami a montré mes films à Christopher Robba, qui m’a pris sous son aile au sein de l’agence VMA (http://www.vma.fr/fiche.cfm/428215-guillaume_tordjman.html)

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait faire ce métier sans avoir de connaissances dans le milieu ?
Une personne qui ne connait personne doit faire l’effort de s’informer, d’aller sur des sites internet comme cineaste.org afin de monter des projets avec des personnes passionnées qui vont t’aider et travailler avec toi bénévolement. Je répète : seul, on ne fait pas de film à moins que tu veuilles filmer des canards avec ton téléphone. La première chose est d’avoir quelque chose à raconter. Alfred Hitchcock et Jean Gabin disaient que pour faire un bon film il faut 3 choses : un bon scénario, un bon scénario et un bon scénario. C’est donc ton arme absolue. Pour mes cinq premiers courts-métrages, j’ai eu la chance de ne rien avoir à payer (à part la nourriture que ma mère préparait sur certains de mes tournages). Les gens travaillaient par pure passion, on a grandi et appris ensemble. Il ne faut pas oublier que le facteur « chance » est évidemment très important et je pense qu’il faut être au bon endroit, au bon moment.

Quels sont tes projets ?
En ce moment je travaille chez Vanglabeke Films avec qui j’ai signé pour deux films. Le premier est un court-métrage appelé Les poings serrés dont l’idée originale m’a été apportée par Khalissa Ouicha, rencontrée il y a plusieurs années lors des cours de karaté, comme quoi… C’est l’histoire d’une fille qui devient muette après le décès de sa mère. Vivant avec sa tante et sa sœur elle se replie sur elle-même jusqu’à ce qu’on l’inscrive à un cours de boxe thaïlandaise qui va devenir son exutoire. Ce projet est scénarisé par Stéphane Keller tout comme mon premier long-métrage Terre rouge, co-écrit avec Samir Trabelsi , et racontant l’histoire d’un jeune de cité dont la mère est alcoolique. S’il multiplie les petits boulots pour subvenir aux besoins de sa famille, son rêve est de devenir champion au 3000m steeple (course et saut d’obstacles). Mais comme sur la piste, son parcours sera semé d’obstacles.

Guillaume a déjà beaucoup d’envie, souhaitons lui donc beaucoup de chance en cette année 2015.

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 Stève Albaret

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