LA TRAP SORT DU PIÈGE

LA TRAP SORT DU PIÈGE

En promotion pour son dernier disque, le rappeur Fabe se présente assez irrité sur le plateau de Taratata suite à la caricature faite par Nagui, Alain Souchon, Laurent Voulzy et Robert Charlebois. Sentant la gène, ce dernier consent que le rap montre parfois des “choses intéressantes sur le plan harmonique”. Nous sommes en 1995, pile dans l’âge d’or du rap. Si des classiques sortent à la pelle et que des artistes proposent des morceaux de grande qualité, certains étant mêmes des précurseurs comme Pharcyde ou plus tard Pharell, le style souffre toujours de sa répétitivité musicale, de ses connotations et de ses clichés contrastant avec la variété représentée par les trois chanteurs tentant un beatbox avec Nagui. On préfère quand même Souchon Sous les jupes des filles plutôt qu’au beatbox.

20 ans plus tard, le rap a muté et ringardisé son passé devenu objet de nostalgie et suscitant même un esprit réactionnaire à l’égard des nouveaux “atliens”. A coté d’artistes comme Kendrick Lamar qui réussit à renouveler un rap assez pur, la trap a fait son apparition grâce aux artistes du sud des Etats Unis qui ont su mettre leur originalité au service de leur musique. Finis New York et Los Angeles, Atlanta est l’épicentre du nouvel ordre. En même temps, Outkast avait déjà placé sur la carte la ville de Georgie, état pourvoyeur de culture depuis des décennies. Après avoir nourri le blues, la country ou le rock, le sud des Etats Unis court-circuitait déjà le rap dominant de l’axe east/west coast dans les années 90 avant de prendre de l’importance dans les années 2000 avec ce qu’on appelle le Dirty South, un style opaque pour les non-initiés mais qui bousculait les codes du rap traditionnel tout comme le Crunk, autre style qui fera le trait d’union vers l’accomplissement de la “trap music”. Ces courants seront boostés par les succès internationaux de Lil’Jon ou du label Cash Money qui impose Lil’Wayne, un rappeur dont le style et l’imagerie ne laissent pas de place au doute : les artistes du sud sont prêts à révolutionner le rap et surtout la musique en général.

D’abord amateurs, très “dirty”, proche de la réalité “trap” (mot qui indique à l’origine le lieu de vente de drogue), des profils ont émergé et sont aujourd’hui les timoniers du style polymorphe qu’est la trap. L’excellent Mouloud Achour les a interviewés et qualifiés justement de rocks stars : Young Thug, Travis Scott et Future. Trois voix hyper-productives qui explosent les codes dans tous les domaines car ils ont totalement libéré le rap de ses clivages. Il chantent, rapent, articulent et désarticulent les mots, crient, changent de tonalités, se taisent, s’habillent de toutes sortes, portent des locks à la jamaïcaine, se griment et leurs vidéos, photos et sons autorisent les expériences les plus avant-gardistes, les réalisateurs s’en donnent à cœur joie 

Au niveau du son, les territoires explorés sont infinis, la musique assistée par ordinateur n’a pas de limites. La traditionnelle charleston ultra-rapide et les grosses caisses ne doivent pas cacher la réalité : les beatmakers composent parfois des mélodies défiant l’imagination qui, une fois arpentées par les interprètes stars, reprennent finalement le flambeau des Pink Floyd, Miles Davies, Queen, Beatles, Supertramp, Kraftwerk et autres artistes qui ont bousculé la musique mondiale en se servant de leur maîtrise pour expérimenter et ouvrir de nouvelles voies. Suivis par des gens comme Migos, 21 Savage, Fetty Wap, Post Malone, Gucci Mane et beaucoup d’autres, les grands de la trap contaminent les autres artistes à la fois par l’instinctivité et la précision de leurs interprétations (le nombre de collaborations explose : Miguel, Justin Bieber, The Weekend, Kris Wu…) et entrainent tout le monde dans un élan très actuel, novateur et universel : c’est la nouvelle chanson américaine.

Côté français, beaucoup ont saisi l’évolution mais n’ont pas su ou pu surfer sur la vague de liberté amenée par la nouvelle génération du sud des États Unis. Booba bien sûr a adapté ses sonorités comme Kaaris ou La Fouine. Au contraire, Kéry James ou Youssoupha perpétuent avec succès la veine traditionnelle du rap. Mais tous ces artistes étant déjà assez âgés, il faut attendre les promesses de jeunes pousses. Un peu comme Ghali et Liberato de l’autre côté des Alpes ou Damso côté Belgique, Vald tient la corde pour proposer quelque chose de différent et a l’intelligence et le talent de surprendre par son language, son raisonnement et son absurdité. En tout cas, il avoue lui-même admirer les têtes d’affiche de la trap. Robert Charlebois aime ça.

Stève Albaret

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