Il y a bien sûr du mauvais avec les “channels” américains, ils imposent des codes dans le monde entier et exportent souvent un “American way of Life” peu adapté aux autres pays. Mais force est de constater que ces derniers temps, Netflix et Showtime ont dépensé autrement leur argent, dans des projets susceptibles de faire rêver le cinéphile. Pourquoi ? Pour entrer dans la légende.
Le néo mastodonte Netflix, facilitateur de la VOD, a récemment été pris la main dans le sac lorsqu’il a acheté les onéreux droits du nouveau film réunissant Scorsese et De Niro, une affiche capable de mettre en émoi n’importe quel amateur de cinéma, sans oublier que The Irishman devrait également réunir Joe Pesci et Al Pacino ! Soit un casting rêvé depuis des années par un public encore en alerte suite au grand film récent du cinéaste new-yorkais : The Wolf of Wall Street.
Depuis quelques années, Netflix produit l’excellent House of Cards qui le plaçait déjà sur la carte hollywoodienne avec son casting cinq étoiles (Spacey/Wright), ses partis pris scénaristiques et esthétiques et sa réalisation splendide. En achetant l’exclusivité de Black Mirror, Netflix poursuivait son goût pour les séries qui comptent. Il ne restait plus qu’à sortir le cinéma des salles et Almodovar de ses gonds. Okja, première attaque lors du dernier Festival de Cannes, pouvait être “ignorée”, mais la deuxième sera être plus violente avec l’argument Scorsese, cinéaste légendaire, adulé et respecté. Reste à savoir ce qu’en pense Scorsese le cinéphile ? Toujours est-il que le nouveau film, dont le tournage est sur le point de débuter, devrait sortir en 2019 et offrirait à Netflix un statut comparable à Warner, Paramount ou 20th Century Fox, majors traditionnelles. Il se pourrait même que le film soit rentable étant donnée la côte des protagonistes.
Cerise sur le gâteau, on apprend que Netflix a réussi à démêler l’imbroglio du copyright sur l’un des derniers projets d’Orson Welles : The Other Side of The Wind. Film légendaire jamais terminé, il est en montage d’après les directives laissées par l’auteur de Citizen Kane. Peter Bogdanovitch serait également sur le coup, lui dont la proximité avec le cinéaste (voir l’incroyable livre d’entretiens “This is Orson Welles”) pourrait être précieuse pour arriver au film tel que l’aurait voulu Welles. Par cet investissement “léger”, Netflix réussit également à se faire une place dans l’histoire du cinéma en ramenant à la vie une œuvre considérée perdue. Finir The Other Side of the Wind est un choix raisonné servant à façonner une image de marque prestigieuse et universelle à la fois.
Les vieux pots font les meilleures soupes : c’est ce qu’a dû se dire la direction de Showtime, “channel” réputé pour ses séries, quand l’idée leur est venue de finir la série Twin Peaks et de se frotter au grand David Lynch. Ils étaient prévenus et l’affaire a bien faillit tomber à l’eau, Lynch voulant imposer son contrôle artistique total. Heureusement pour nous, la saison 3 de Twin Peaks est devenue réalité et le cinéaste n’a rien perdu de son talent, lui qui ne tournait plus sérieusement depuis 2006 (Inland Empire). Mais quid de l’audimat ? Quand en 1990-91, une moyenne d’environ 10 millions de spectateurs se pressaient devant le petit écran pour chaque épisode, seulement 200 000 continuent de le faire en 2017. Mauvais pari pour Showtime ? Possible, car là où Netflix investit intelligemment en mesurant les risques, Showtime semble avoir cédé à une sorte de mécénat. Cependant, Showtime est une chaîne plus ancienne, traditionnelle et ancrée dans le PAF américain. Elle peut compter sur l’enrichissement de son catalogue et sur les différentes diffusions (direct, VOD, DVD) pour faire fructifier ce beau trophée à leur tableau de chasse, à la fois coup de com’, opération séduction et cadeau à tous les cinéphiles.
https://www.youtube.com/watch?v=ujDB5ao1JCg
Stève Albaret