C’est une série qu’on se passe plusieurs fois pour en saisir les détails. Absurde, insensée, complexe, la création de Julien Tenfiche bouscule le spectateur passif. Il fallait donc en parler directement avec le réalisateur dont les réponses surprennent autant que son travail.
– Comment t’es venue l’envie de créer DANS ?
Au départ, je ne savais pas ce que je voulais. J’étais avec Sébastien Marinetti (le personnage principal de DANS), on papotait cinéma en buvant une bière et puis subitement on s’est dit qu’on allait improviser un truc, on a tourné à 3 heure du matin, saouls. J’ai fait le montage le lendemain au réveil avec la gueule de bois… Et ça marchait vraiment bien. Alors j’ai décidé de retourner quelques plans pour peaufiner l’épisode 1, et de faire la suite dans la foulée.
– Comment t’y prends-tu pour écrire tes scénarios et quelles sont tes inspirations ?
L’épisode 1 était improvisé, mais pour la suite je voulais surtout créer une ambiance entre l’humour et le malsain. J’ai écrit DANS en fonction de ce que je voulais y voir et y ressentir sur le moment. Je me suis beaucoup inspiré des jeux vidéos Silent Hill (surtout les 2 premiers) : la progression du personnage qui trouve des objets pour avancer, qui est confronté à des portes qui ne s’ouvrent jamais (rire) et qui rencontre des personnages bizarres dont on ne connait pas les intentions. Je voulais faire un cauchemar entre L’échelle de Jacob (Jacob’s Ladder, A. Lyne, 1990), les Monthy Python, Quentin Dupieux et plein d’autres trucs… Tout ce que j’ai vu dans ma vie est potentiellement une inspiration pour DANS.
– Les dialogues surprennent par leur inventivité et l’étrange facilité de ceux qui les disent, comment les construis-tu ?
Je construis chaque dialogue en fonction des acteurs qui les jouent. Avec Oriane Plateau (la fille dans le 1er épisode) par exemple, on a écrit ensemble ses monologues en fonction de ce qu’elle voulait jouer et de ce que je voulais qu’elle transmette comme information et ambiance. Pour Sylvain Pierre (l’homme qui se fait lécher les doigts dans l’épisode 3), c’était une impro, je n’ai eu qu’à lui donner les grandes lignes. Je voulais que ces deux personnages soient totalement opposés, et je pousse ce concept jusque dans étalonnage.
– Comment as-tu trouvé ce titre si étonnant lorsqu’on le voit apparaitre pour la première fois à l’écran ? Comment choisis-tu les citations introduisant les épisodes ?
Pour le titre je voulais faire une blague, un truc dont on se souvient, une seule syllabe qui raconte l’histoire sans la raconter… DANS sonnait bien. Les citations sont choisies pour résonner avec les épisodes, c’est plus le champ lexical qui m’intéresse, au début de l’épisode 3 par exemple (« De quoi vivrait l’église si ce n’est des péchés de ces fidèles » – Hitler) je voulais qu’on sente une ambiance religieuse où les notions de mal et de bien sont confuses, pour donner une piste sur le personnage de Sylvain Pierre.
– On sent l’humour (souvent noir) prêt à poindre dans chaque situation, tout comme la peur. Pourrais-tu nous en dire plus sur cette particularité ?
L’humour et l’horreur de DANS sont plus des vernis qui posent l’ambiance sur une histoire volontairement mal racontée. Au départ c’était une expérience, un truc que je voulais voir moi, en tant que spectateur, et puis c’est devenu le concept principal.
– Pourrais-tu rapprocher ton travail sur l’absurde de celui de gens comme Beckett ou Lynch ?
Je suis un enfant de la TV, nourri aux images de toute sorte. Lynch en fait partie, le club de golf du personnage principal est clairement une référence à Mulholland Drive (D. Lynch, 2001) et puis il fait un bruit de sabre laser tandis que la musique du début est celle de Police Squad! (J. Abrahams, J. et D. Zucker, 1982)… Au final l’absurde se créé tout seul, à l’insu de mon plein gré.
– Comment choisis tu tes décors et costumes ?
Les costumes sont choisis en fonction de ce que je veux qu’ils disent des personnages… Sébastien est marron, comme les murs de sa chambre au début, pour montrer qu’il en fait presque parti. Quand aux décors je ne les ai pas vraiment choisis, c’est juste le squat dans lequel je vivais à l’époque qui m’a inspiré ma façon de réaliser DANS. J’aime réaliser une série (ou un film) par squat, quand j’ai le temps. Juste avant c’était BLUESCREEN et la prochaine fois on verra bien. J’aime quand le hasard, le chaos et moi même écrivons ensemble.
– Tes techniques de tournages sont peu communes, notamment ton utilisation des néons et du pied photo, comment t’y prends-tu pour trouver tes cadres et tes lumières ?
Je me débrouille tout le temps pour placer les acteurs là où il y a de la lumière (sous les néons), car je n’ai ni lumière, ni micro… J’ai choisi de filmer sur un trépied photo parce que j’adore les plans de travers, et que je les trouve plus adaptés à ce que je veux faire. J’ai bricolé mon trépied photo en fixant des barres sur les réglages pour avoir des mouvements plus fluide et plus libres. J’avoue que j’ai un fétichisme avec les néons, je ne sais pas pourquoi. Le grain qu’ils donnent ont ce quelque chose de crade, élégant et artificiel, ça me fascine. Et puis ça va bien avec l’étalonnage crasseux, verdâtre et instable qui clignote sans raison et qui caractérise la direction artistique de DANS. Je cadre en fonction de l’état d’esprit dans le quel je suis. Si c’est beau, sale, raffiné, infect, et que ça raconte ce que je veux, j’appuie sur « rec ».
– La post-production représente une partie du travail très importante pour toi. Lors de la pré-production, envisages-tu déjà montage, étalonnage, effets, bruitages et mixages ?
La post-prod c’est 80% d’un épisode, et vu que je fais un peu tout tout seul, je sais exactement quel effet et quel son je vais mettre sur une image dont je suis encore en train de régler le cadre. Par exemple dans la scène où Sébastien trouve le club de golf (épisode 3), j’avais déjà choisis la musique pendant que je faisais le montage de l’épisode 2, et je savais qu’il le testerait comme dans Silent Hill 2 (le jeu vidéo), avec le même genre d’ambiance et de couleur à l’écran. En fait, j’avais tout prévu sauf les bruitages de sabre laser, ça c’est un ami qui m’a dit que ça serait plus drôle et plus inattendu…
– Comment travailles-tu avec tes comédiens ?
Les comédiens ne sachant pas du tout ce qu’ils vont faire avant de tourner (sauf s’il y a du texte à apprendre), en général ça commence par un apéro où je m’assure qu’ils sont dans un état second (mais pas trop). On tourne souvent de nuit en écoutant de la musique à fond, une bouteille toujours à portée de main.
– Quelles sont les pistes de diffusions de ton travail ?
Pour le moment pas grand chose. J’ai pas mal de travail donc je ne m’en occupe pas trop. On a fait une projection dans un bar à Paris, j’ai dû remonter la série pour qu’elle fasse un seul bloc de 13 minutes (je l’avais renommé « Autoportrait d’un cauchemar sous speed ») c’était pas mal, mais on m’a dit que c’était trop bizarre. Alors depuis, je cherche des festivals un peu plus cool.
– Y aura-t-il une suite à ces quatre épisodes ?
J’aimerais bien oui, j’ai déjà l’histoire, c’est juste un peu compliqué pour moi en ce moment, j’ai pas trop le temps et d’autres projets. J’ai envie de faire un truc vraiment cool avec la suite. Avec des explosions, des femmes nues et du satanisme.
LIENS VERS LES ÉPISODES DE DANS : https://www.youtube.com/watch?v=YfvJsO4Iing&list=PLBrTy_Ggc6VK_IdrQoBfk4gGWv9hwEhcW
Stève Albaret