Le cinéma des grands réalisateurs enfante des œuvres d’art, il en va de même pour les jeux vidéos. Dominé par une production très commerciale, souvent spectaculaire et peu raffinée, le jeu vidéo (comme le cinéma) possède pourtant quelques chefs d’œuvres dignes des plus grands musées. Le MoMa a d’ailleurs initié ce changement de mentalité acquérant par exemple Another World d’Eric Chahi. Cependant la simple appellation “jeu vidéo” suffit parfois à susciter la moquerie, car comme la BD, le jeu vidéo est souvent considéré comme puérile et abêtissant. Si l’industrie vidéo ludique a environ 30 ans (âge qui correspond à l’arrivée de l’informatique domestique dans les années 80) ce n’est que maintenant qu’on peut s’apercevoir de l’évolution de l’âge des amateurs de jeux vidéos. Les enfants émerveillés par les jeux PC, Atari, Sega, Nintendo et Sony ont grandi. Cependant, même si les générations de joueurs se succèdent et font en sorte de banaliser le jeu vidéo, elles ne permettent pas ou trop peu de le raffiner et de faire évoluer les productions vers un artisanat magnifique. Pourquoi? D’abord parce que la spécificité d’un jeu vidéo par rapport à un film en prises de vues réelles est qu’il requiert des moyens financiers souvent élevés, beaucoup de temps de développement, des compétences pointues (programmation, design, etc) et souvent un scénario. L’énergie dépensée à créer un jeu vidéo est donc décuplée, il est donc plus rare d’y trouver des œuvres “profondes” pour de simples raisons financières, le problème est le même pour les films d’animation qui restent largement destinés aux enfants alors que des maîtres comme Miyazaki ou Trnka mettent tout le monde d’accord. Quand les jeux vidéos ne sont pas destinés aux jeune public, les grandes productions vidéo ludiques déplacent leur cible sur les jeunes adultes grâce à des productions axées sur la simulation sportive ou l’action, parfois assez violente mais très efficace comme la série GTA (la société Rockstar injecte dans ses projets des sommes dignes des plus grands blockbusters hollywoodiens).
L’autre spécificité du jeu vidéo par rapport au cinéma est l’interactivité. C’est d’ailleurs cela qui en fait un art majeur puisque le joueur/spectateur contrôle l’acteur : c’est plus immersif et cela permet aussi aux jeux vidéos d’être souvent beaucoup plus longs que les films. L’expérience est donc plus riche et variée. L’interactivité pose aussi une contrainte fondamentale dans la conception même du jeu vidéo : “il faut que ça bouge”. D’où la facilité à sortir à la chaîne des jeux vidéos limités mais où l’action ne laisse aucun répit au joueur qui sort totalement de son corps pour une expérience d’hyper-identification déstabilisante. A ce propos de nombreux enfants ont accès à des jeux tels que Call of Duty ce qui est extrêmement discutable et, en plus, créé de nouvelles générations de joueurs jugeant la qualité d’un jeu vidéo sur son degré de violence immersive. Plus que la production c’est la perception qui est tirée vers le bas. Si François Truffaut avait eu Call of Duty à la place d’Hitchcock et Renoir, nous n’aurions certainement pas eu Les 400 coups, non?
La France est un pays à l’avant-garde sur la question du droit d’auteur car des gens comme Henri Langlois ou André Bazin pour le cinéma ont su bâtir les remparts nécessaires à la protection des maîtres et des grandes œuvres. Il est temps de répéter cela avec les jeux vidéos afin d’influer sur la façon de les fabriquer et d’y jouer.
Voici quelques suggestions de jeux vidéos marquants d’un point de vue artistique :
Shadow of the Colossus – F. Ueda (Japon, 2005)
Full Throttle – T. Schaffer (États Unis, 1995)
Machinarium – J. Dvorsky (Tchéquie, 2009)
Oddworld : Abe Oddysey & Exoddus – L. Lanning (États Unis, 1997)
Minecraft – M. Persson (Suède, 2011)
Metal Gear Solid – H. Kojima (Japon, 1998)
Mind : Path to Thalamus – Oscar Coronado (Espagne, 2014)
Hotline Miami (série) – J. Söderstrom (Suède, 2012)
Limbo – A. Jensen (Danemark, 2011)
Another World – E. Chahi (France, 1991)
Castlevania : Symphony of the Night – K. Igarashi (Japon, 1997)
Portal (série) – K. Swift (États Unis, 2007)
The Stanley Parable – D. Wreden (États Unis, 2013)
Sanitarium – M. Nicholson (États Unis, 1998)
Shenmue (série) – Y. Suzuki (Japon, 2000)
Braid – J. Blow (États Unis, 2008)
Johnny Rocketfingers (série) – R. Khatam (États Unis, 2003)
Nomad Soul – D. Cage (France, 1999)
Stève Albaret