Interview de Swann Périssé, entre youtube et stand-up

Interview de Swann Périssé, entre youtube et stand-up

Swann Périssé, “comme périmé avec deux -s”, est une travailleuse remarquable. L’humoriste et youtubeuse de 24 ans passée par Sciences Po Paris et l’École Internationale de Théâtre Jacques Lecoq, prouve sans cesse que l’envie est la chose la plus importante pour se faire un nom sur scène. Professionnelle du stand-up depuis deux ans, elle s’implique maintenant dans la vidéo à travers sa chaîne YouTube. Parce qu’on est “mieux servi par soi-même que par des tocards”, rencontre avec une fille qui en veut.

 

Comment t’es venue l’envie de faire des vidéos humoristiques?

Je faisais mon one woman show au Paname Art Café (14 Rue de la Fontaine au Roi, Paris 11) pendant que Norman Thavaud y préparait son spectacle. On s’est donc rencontrés : lui apprenait mon métier et moi j’avais décidé d’apprendre le sien. Il m’a donc invité dans ses vidéos ce qui m’a donné envie de créer mon propre contenu sur YouTube.

 

Comment trouves-tu tes sketches afin qu’ils correspondent à un format vidéo?

En vivant des moments humiliants! (rire) Les vidéos sur lesquelles je travaille actuellement s’appellent les SwannyFails. Le concept est de montrer des moments d’échec, de ridicule ou de solitude que j’ai moi-même vécu. Sur le coup j’ai pensé : mieux vaut en rire. Donc en général c’est du comique d’observation, très difficile à retranscrire sur scène car c’est un autre travail davantage axé sur l’écriture, le timing et l’énergie. Au final, quoi de mieux pour montrer un comique d’observation que de le filmer et de le mettre en scène à travers la vidéo? C’est plus simple de montrer des choses subtiles en vidéos que sur scène. Pour l’instant, je prends ça comme un apprentissage que j’ai envie de rendre public pour améliorer ma visibilité. J’ai commencé seule, à l’arrache : on m’a offert une caméra, ça tombait bien, j’ai pris quelques cours de montage sur Adobe Première… Maintenant on est trois : ingénieur son, cadreur et moi car contrairement à la scène, c’est vraiment un métier d’équipe. La question du temps est aussi très importante : sur YouTube une vidéo de plus de deux minutes doit être excellentissime sous peine d’être ennuyeuse. Pour un spectacle, tu as l’attention des gens pendant une heure, ils ont éteint leurs portables, tu peux les emmener dans ton monde. Internet = efficacité obligatoire.

 

Voici la vidéo du dernier Swannyfail :

 

Alimenter une chaîne vidéo, c’est complexe?

C’est énormément de travail sans être payé. Ça prend déjà beaucoup de temps si tu es seule, alors imagine si tu es plus ambitieux : les gens qui te prêtent les décors, les comédiens qui travaillent gratos, cadreur, ingé son, mixeur, etc. Tous ces gens que tu ne payes pas peuvent travailler par passion parfois mais pas toutes les semaines. La solution est d’avoir une boîte de production derrière toi.

 

Au début tu m’as parlé de Norman fait des vidéos, dans quelle mesure tes apparitions dans ses vidéos t’ont aidé?

Il y a deux aspects. D’abord sur la manière de travailler, Norman m’a surtout inspiré à la vision de ses vidéos et de son spectacle : comment rendre ton quotidien humoristique? Norman se définit comme un mec normal. Il s’est trouvé artistiquement car il s’est trouvé lui-même, c’est ça qui est inspirant. Ensuite, notre collaboration m’a beaucoup aidé sur les réseaux sociaux, ça a fait buzzer mes pages, ça m’a aussi donné de la crédibilité dans le milieu professionnel, on ne me prend pas pour une folle quand je m’adresse à une production. Je me suis aussi rendu compte que les gens sont vraiment avides de vidéos, surtout les jeunes (majeure partie du public de Norman d’ailleurs).

 

Est-ce que tu penses que les plateformes vidéos d’internet recèlent de perles artistiques?

Oui parce que elles sont des cours de création libre. On s’y sent plus libre que sur scène ou en télévision. L’humoriste américain Louis C.K. par exemple, je crois qu’on lui a proposé de faire sa série à la télé, il a répondu d’accord à condition de se charger lui-même de l’écriture, ce qu’ils ont accepté à condition de valider une semaine avant chaque épisode. Il a négocié corps et âme, en disant : « c’est ma liberté ou vous n’aurez pas mon émission. » Ils ont accepté même s’ils aimeraient parfois le censurer. Il est un des rares à ne montrer le produit final que quelques heures avant sa diffusion. Tu connais Solange te parle? Elle ne buzze pas autant que les autres mais elle fait des performances artistiques de haut vol sur YouTube, ce qui lui a permis de faire son long-métrage grâce au crowdfunding sur Ulule (plateforme de financement participatif). Il a plus de place sur internet pour des univers de créativité particuliers et absurdes, par contre on s’en prend plein la gueule : quand tu essayes d’être un peu différent sur YouTube, les gens sont frustrés. Les ados (généralement ceux qui font buzzer) sont habitués à des formats créés par Norman et d’autres podcasteurs à l’époque. Ce qui buzze sur internet c’est la musique en premier, le sexe, l’humour et loin derrière les produits de beauté, les tutoriels, etc. L’humour et la musique sont des choses que les gens partages volontiers, c’est le plus gros potentiel.

 

Qui sont les artistes que tu aimes?

Encore une fois, Solange te parle qui fait un format podcast complètement décalé du genre performances dans sa chambre. Elle se met nue et cache les parties qu’on découvre d’habitude, elle te parle de son frigo, de sa dépression… Tu ne sais pas quelle est la limite entre l’actrice et son personnage. Sur scène, j’admire Philippe Caubère, ancien du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine, qui a fait six seul-en-scène de deux heures trente chacun où il incarnait vingt-sept personnages de façon très drôle et très émouvante. J’aime aussi Camille, que je connaissais déjà avant la sortie de son album à succès Le fil dont les chansons sont faites avec des bruits de bouches. J’admire son œuvre avec un gros -e dans l’-o parce qu’elle est elle-même et fait des choses poétiques qui lui ressemblent. Sa chanson Canard sauvage par exemple avec ses bruits d’eau et de chuchotements… Elle est incroyable sur scène et très drôle aussi car elle a du clown en elle. J’aime aussi Nawell Madani, la tueuse du stand-up : efficacité, tous publics, punchline, chauffeuse de salle… Elle a trouvé son public et déchire tout sur scène. Elle fonce.

 

Ça te caractérise aussi?

Oui même si je me cherche encore sur YouTube. Il faut être courageux dans ce que tu défends et accepter d’en prendre plein la gueule. Une fois, j’ai fais une vidéo sur comment répondre aux mecs qui te harcèlent dans la rue, te sifflent, te tripotent, etc. Et pendant les trois semaines suivantes, j’ai été harcelée non-stop par des mecs qui me traitaient de fille de bourges, m’insultaient, pirataient mon compte, faisaient des montages photos désagréables… Ça m’arrive dix fois plus depuis que je travaille avec Norman du coup ça me passe au dessus mais au début j’étais un peu surprise de la violence d’internet… Aujourd’hui, j’essaye de retranscrire en vidéo ce que je suis sur scène, pour l’instant je suis à 10%.

 

Tu as un projet qui pourrait augmenter ce pourcentage, tu peux en parler?

Je suis en relation avec une production qui est intéressée par le financement de mes tournages. Mes ambitions sont passées de “j’ai mon 5D et mon ingé son une fois par semaine” à “on paye notre équipe, on a plus de temps et plus de moyens”, forcément ça décuple ta créativité. Avec mon partenaire Matthieu Corno, on va faire des sketches beaucoup plus ambitieux pour lesquels on sera payés en droits d’auteurs. Lui est à la technique tandis que je gère la direction d’acteurs. Comme avant, on supervisera tout de A à Z, mais avec plus de moyens ce qui est une aubaine incroyable. Le premier épisode, dont le sujet est la langue française, sortira prochainement.

 

Beaucoup tendent à faire toujours plus grand, à “s’américaniser”, ne penses-tu pas que la simplicité d’un Norman soit la clef d’un succès efficace et durable?

Julien Josselin, dit JulFou, m’a dit “Sur youtube, il faut faire ce dont tu as envie”. Je ne veux pas faire de l’impressionnant pour impressionner mais j’ai envie d’une team. Cette promesse de simplicité dont tu parles est touchante et elle marche très bien parce qu’elle vient du fond du cœur de ceux qui la font. D’ailleurs des chaînes comme Golden Moustache ou Studio Bagel ont brassé des gens comme eux, qui avaient commencé seuls devant la caméra, pour faire des sketches produits. Les envies changent. Moi-même je ne m’interdis rien, j’ai fait des faces caméra. Mais maintenant on dit que c’est un style “à la Norman” donc il faut aussi inventer sa propre originalité. Je crois que Norman préfère faire des vidéos dans sa chambre parce qu’il en a envie mais je ne sais pas si les autres tendent vraiment vers une américanisation des moyens, ils ont juste envie d’aller plus loin. Par exemple, Norman et JulFou sont monteurs de formation, ils sortent d’un BTS. Ils sont donc naturellement “challengés” par le métier de la vidéo et l’envie d’exploiter leurs potentiels. JulFou fait Jam (une journée pour concevoir un sketch avec des artistes invités) parce qu’il en a envie mais aussi parce que Golden Moustache lui offre la possibilité technique de le faire. Autre exemple, je crois que les frères Descraques se sont séparés des autres productions et ont créé Frenchball pour avoir plus de liberté créative même s’il y a moins d’argent.

 

Gagner de l’argent sur les plateformes vidéos, beaucoup fantasment mais peu connaissent la réalité, non?

Pour gagner sa vie comme ça, il faut faire beaucoup de vidéos et des millions de vues. Et encore tu n’es pas riche mais ce sont des chiffres bien gardés! YouTube, soit ils viennent vers toi parce que tu buzzes soit tu vas vers eux, dans les deux cas ils mettent de la pub sur ta vidéo et tu touches un pourcentage. Mais ça reste dérisoire sauf si tu fais plusieurs millions de vues par mois. Moi je gagnerais plus avec ce que j’ai appris à Sciences Po! La clef de la rémunération est d’être produit ou alors d’être un des premiers youtubers.

 

Beaucoup de productions se positionnent sur les sites de partages vidéos?

Ayant étudié la question à travers mon Master Communication, je peux dire sincèrement que c’est la télévision du futur. Les productions espèrent gagner de l’argent sur ces plateformes mais, comme il faut bien commencer quelque part, c’est d’abord à eux d’investir de l’argent.

 

En parlant de futur, tu t’y vois plutôt en vidéo ou sur scène?

SUR SCÈNE. La vidéo me donne de la visibilité même si j’y passe plus de temps que pour mes spectacles. C’est un double métier, je ne pense pas arrêter la vidéo mais la scène c’est sûr, j’arrêterai jamais, JAMAIS.

 

N’oubliez pas d’aller voir Swann sur scène au Paname Art Café

Stève Albaret

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