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SHOOT et RITUAL de Gaspar Noé : Interview du monteur Thomas Fernandez

Sorti de l’école 3IS (Institut International de l’Image et du Son), Thomas Fernandez s’est fait un nom en tant qu’assistant monteur d’abord, chez Auvitec et LTC, puis à la télévision sur des émissions telles que Capital ou Faites entrer l’accusé. Son expérience du court-métrage lui permet de rencontrer Sophie Reine, monteuse césarisée pour son travail sur Le premier jour du reste de ta vie (R. Bezançon, 2008), grâce à qui il accède au long-métrage cinéma. Lui-même chef monteur depuis 2011 (Jappeloup de Christian Duguay), il collabore régulièrement avec Gaspar Noé, le réalisateur des fameux Seul contre tous et Irréversible, pour qui il a monté RITUAL en 2012 et le méconnu SHOOT sorti cette année et dont la qualité nous a poussé à en savoir plus lors d’un entretien qu’il nous a accordé.

Comment sont nés les deux derniers courts-métrages de Gaspar Noé ?

RITUAL a été produit par les français de Full House Films et fait parti d’un long-métrage (7 dias en La Habana) dont le but est de faire le portrait de la ville de La Havane en sept parties et autant de réalisateurs, un peu dans l’esprit de I love New York et Paris, je t’aime. Chaque réalisateur avait son indépendance créative et sa propre équipe. Pour SHOOT, c’est presque le même principe : 32 films correspondant au pays qualifiés pour la Coupe du Monde 2014. Le projet initié par le mexicain Daniel Gruener comporte des films de trois à cinq minutes signés entre autres Carlos Reygadas pour le Mexique, Vincent Gallo pour les Etats-Unis et Gaspar Noé, qui représente la France d’une manière qui ne plait pas à tout le monde je pense. Gaspar a l’habitude des films participatifs, il est assez ouvert à ce genre de projets.

Synopsis de SHOOT : Quatre jeunes noirs et une jeune maghrébine jonglent avec un ballon floqué « France » sur un terrain vague dans le nord parisien.
Synopsis de RITUAL : A Cuba, une jeune fille est séduite par une autre jeune fille lors d’une fête sur la plage. Surprise au matin par ses parents, elle doit être désenvoutée par un shaman.

Gaspar Noé ne se sent pas plus argentin ?

Je ne sais pas mais je pense qu’il fait des films multinationaux. C’est ni français, ni argentin, c’est Gaspar Noé.

Comment as-tu été amené à travailler avec lui ?

J’avais fait la connaissance de Marc Boucrot, chef monteur, qui avait besoin d’un renfort sur Enter the Void. Ce qui est très étonnant, c’est que Gaspar m’a appelé lui-même. Je m’en souviendrai toujours : un dimanche soir tard, j’ai décroché mais je n’ai pas compris son nom, c’était quelqu’un qui me proposait de travailler sur son film, un peu comme s’il s’agissait d’un court-métrage sans trop oser demander. Et puis j’ai commencé le lendemain. Il faut savoir que tous les plans du film sont truqués, je m’occupais donc de vérifier les trucages effectués par BUF et j’exportais les nouvelles versions image pour le mixage qui était simultané. J’ai bossé six semaines, ce qui n’est pas très long vu la durée de la postproduction.

S’il t’a contacté lui-même, il doit avoir un rapport très particulier avec ses techniciens non ?

Carrément, surtout que pour nous remercier de nos efforts, on bossait bien vingt heures par jour, il a tenu à inviter toute l’équipe au Festival de Cannes ce qui est assez rare.

Comment tu t’es retrouvé sur ses deux courts-métrages ?

Pour RITUAL, ça s’est fait un peu par hasard : je sortais d’une salle de montage quand j’ai croisé Gaspar dans la rue. Il m’a dit « Comme je te tiens, est-ce que tu es dispo dans trois semaines ? ». C’est les conditions d’un long, c’est très créatif, on est payé presque comme sur un long, sauf que c’est du court. L’équipe est réduite mais on retrouve des visages connus comme Ken Yasumoto (montage son/mixage). Sur SHOOT, Denis Bedlow, un autre monteur habituel de Gaspar, n’était pas disponible alors que je l’étais. Nos profils sont assez différents, Denis connait toutes les techniques de montage sur n’importe quel logiciel, mon approche est plus artistique. En général, Gaspar aime avoir deux monteurs de profils différents sur un même projet, ça marche bien même si j’étais de nouveau le seul chef monteur sur SHOOT.

Que sais-tu des techniques de prises de vues utilisées sur les deux courts métrages ?

RITUAL a été tourné avec un Canon 5D monté d’objectifs cinéma, ce qui a l’avantage d’être léger. Gaspar a une exigence très forte sur l’image, il voulait une image stable, belle et esthétique comme dans tous ses films. Petit inconvénient : la stabilisation des images était assez compliquée sur cette caméra car en rognant l’image on perd pas mal de piqué. Pour SHOOT, les technicens ont créé un ballon dans lequel il y avait deux GoPro tournant simultanément en HD à soixante images par seconde. Si les jongleries sont chorégraphiées, c’était un accident heureux que la balle sorte du terrain vague. Ils ont recommencé ce mouvement plusieurs fois afin d’avoir les meilleurs plans possibles pour l’exploiter. De temps en temps, les GoPro sortaient un peu du ballon à cause des chocs et il fallait les recaler dedans.

Comment fonctionne votre collaboration réalisateur/monteur?

On récupère d’abord les images et on visionne tout afin de sélectionner ce qui n’est pas bon. On se refait une vision avec ce qui reste pour garder ce qui nous plait le plus, à partir de là on va commencer tout doucement à agencer les choses. Il ne faut pas oublier que Gaspar est un vrai technicien : cadreur sur RITUAL, il sait aussi utiliser un Avid (logiciel de montage). Du coup les rôles pouvaient s’inverser, Gaspar prenant la place du monteur et moi celle du réalisateur disant « oui, ça c’est bien, ça moins… ». Il n’est pas un réalisateur qui donne des références ou indications comme beaucoup d’autres, il laisse une grande marge à l’expérimentation du montage (dans RITUAL, les flashs noirs sont venus après comme le choix de la version du rite final). Sur SHOOT, il y avait bien cinq heures de rushes et, comme ça part dans tous les sens, tu te demandes vraiment « Par où je vais commencer ? ». J’ai directement mis de côté le plan du début car je savais que c’était le mec qui tire dans le ballon, mais alors après… : Sur quel personnage on allait commencer ? Est-ce qu’on prend le ballon qui tape tout de suite contre un mur ou bien qui part dans le ciel ? Après écrémage, on a donc essayé de trouver une sorte de « narration de la balle » où chaque personnage a un temps d’apparition égal aux autres. Comme on ne peut pas contrôler la GoPro dans la balle, on était dépendants de ce qu’on avait comme rushes. On a vite opté pour le ralenti car à vitesse normale les plans étaient irregardables (finalement le film ne donne pas l’impression de ralenti car la balle tourne assez vite). Au montage, tout est fait pour donner l’impression d’un plan séquence. Les coupes passent très furtivement dans le ciel, lors des coups de pieds ou lors des rebonds de la balle. Le film fini comporte trente ou quarante plans et tient dans les trois minutes qu’on avait, cinq minutes auraient été trop longues pour le spectateur. Il y a presque un côté film expérimental : c’est au fil du montage que je me suis aperçu du « message » de SHOOT. Je pense que Gaspar l’avait déjà en tête mais comme je l’ai déjà dit, il ne donne pas de références précises donc ça se construit comme un Lego et on devine de mieux en mieux là où il veut en venir.

Les images et le son sont très travaillés en postproduction ?

L’image pas tant que ça en fait. A part un étalonnage basique où on a rajouté un petit effet Super 8 crado, les images sont assez brutes. En GoPro ce n’est pas vraiment évident de régler la lumière, je sais qu’ils ont réglé un peu le diaphragme, c’est tout. Par contre il y a vraiment un travail de création sonore. Il n’y a presque que de l’ambiance sur les deux courts, pas de dialogues. Gaspar fait des films où le son est aussi important que l’image. Sur SHOOT, il y a quelques sons bruts comme les bruits de frappes pris par les GoPro. Ken Yasumoto a peut-être aussi retravaillé le son GoPro d’une sirène de voiture de flic qui passait. Avec Gaspar, ils créent une espèce d’ambiance musicale sans musique. Le son renforce le sentiment du montage.

Qu’est ce que tu sais de LOVE, le prochain long-métrage de G. Noé ?

Il sera en tournage dès fin janvier et sera monté par Denis Bedlow. A priori je ne serai pas de la partie car je monte à la même période le prochain long-métrage de Samuel Benchetrit avec qui c’est la troisième fois que je travaille.

Regardez l’impressionnant SHOOT ici
Voici le site dédié au projet 7 dias en La Habana dont fait partie RITUAL

Stève Albaret

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