Médias et ONG : interview de Laurent Eyzat, président d'ActionFroid

Médias et ONG : interview de Laurent Eyzat, président d’ActionFroid

ActionFroid est née en février 2012 lors d’un appel sur Facebook. L’idée : comment une personne isolée peut aider d’autres personnes sans abris ? Laurent Eyzat voit en internet un formidable outil de rassemblement et de récolte de fonds destinés à acheter dans toute la France des couvertures puis plus tard tout le nécessaire de survie. Mis à la disposition des bénévoles présent aux quatre coins du pays, ces fournitures sont directement redistribuées aux personnes dans le besoin, et ce dans des mini-magasins créés dans des coffres de voiture. Tout cela se fait à distance, piloté depuis Paris, ce qui permet une rapidité et une efficacité d’action remarquables. En novembre 2014, le groupe Publicis offre une vidéo publicitaire à ActionFroid. Ce cadeau inattendu est l’occasion pour nous de rencontrer Laurent Eyzat, créateur et président de l’association.

 

Comment est né votre spot publicitaire?

Une équipe au sein de Publicis à la capacité de faire chaque année un message promotionnel d’aide, je crois d’ailleurs qu’ils étaient à l’origine de la campagne du SAMU social, avec cette image frappante de sans abris fondus dans le bitume. On a reçu un mail où ils nous disaient qu’ils avaient un spot : si on l’acceptait, il était à nous. J’ai vu la vidéo et je suis resté scotché par la qualité du message et de l’image. On était unanimes dans l’association même si c’est vrai qu’il y a une espèce de dichotomie entre la capacité professionnelle à réaliser un spot comme celui-là et nous, notre capacité à l’absorber. On est de simples citoyens, je ne pensais pas que ça arriverait comme ça.

 

Comment l’avez-vous accueilli ?

On a aujourd’hui plus de 5000 personnes qui nous suivent sur Facebook, à peu près 1000 personnes qui s’occupent de la logistique et font des dons et 300 personnes sur le terrain. J’avais quelques inquiétudes : on se demandait comment on pouvait digérer ce message et surtout, comment ça allait être perçu par notre public. Mais bon, la meilleure façon de le savoir, c’est d’accepter le cadeau et de le promouvoir !

 

Des personnes que vous aidez ont été amenées à voir la vidéo ?

Je ne pense pas ou alors à quelques exceptions près puisque les gens qu’on visite sont dans la rue, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient déconnectés car on reçoit des mails de quelques uns de nos habitués qui vont dans des web cafés, on a même un spécialiste d’informatique. Il faut dire aussi que le spot n’a été diffusé que récemment, même si on a déjà environ 30 000 vues, ce qui est beaucoup pour nous. Notre intérêt est de décloisonner le regard d’une plus grande partie de la population.

 

Quelles sont les voies de diffusion de la vidéo ?

Uniquement sur le web, c’était la condition du cadeau. On n’a pas fait de démarches ailleurs. C’est vrai que si demain, il y avait une grande chaîne de cinéma qui nous offrait la capacité de diffuser ce spot, on étudierait la question. Mais il y a encore ce paradoxe d’avoir des gens confortablement installés pour voir une comédie et qui se retrouvent devant un spot publicitaire, pas larmoyant hein, mais un petit peu vif sur le traitement de la vie d’un sans abris sous la flotte.

 

Est-ce que Publicis met à votre disposition son réseau de diffusion ?

Oui, sur le web. Notre contact chez Publicis a fait évoluer le réseau, j’en veux pour preuve ces commentaires de gens venant clairement de la publicité et de l’audiovisuel. Après, au moment où je vous parle, je n’ai pas reçu de demandes ou propositions particulières.

 

Vous êtes propriétaires des droits de la vidéo ?

Je n’en sais rien. C’est une excellente question, à priori oui vu que la maison de production, que je dois remercier, a livré un film qu’on a le droit d’utiliser. Ça été siglé à notre nom.

 

Vous aviez déjà des contacts avec Publicis ?

Aucun, ni avec aucune autre boîte de pub. Je n’aurais pas appelé en disant « Bonjour, ce serait pour faire la promotion d’un groupe de citoyens comme nous ». Je préfère la notion de cadeau. Par contre, on avait déjà eu de la presse. Surtout en fin 2012, on a eu vrai coup de projecteur grâce au journal Le Monde, dont la journaliste enquêtait sur les initiatives citoyennes. On était quatre ou cinq initiatives citées dans ce très bel article, et on a eu la chance de bénéficier de la Une de couverture, avec une photo en couleur ! C’est gravé chez moi, encadré.

 

Comment avez-vous été choisis par Publicis pour ce cadeau ?

Aucune idée, peut-être qu’il y a eu un peu de « réseautage ». Il est possible aussi que ça soit grâce à Catherine Dauriac, membre d’ActionFroid et blogueuse à ecoloinfo.com, qui avait elle aussi fait un bel article reprenant toutes les initiatives depuis le début. Ça peut correspondre. Je pense que la lecture de ce type de blog peut faire jaillir des propositions de ce type. Ce que je sais c’est que Publicis a l’habitude de travailler dans le domaine caritatif puisqu’ils offrent régulièrement une campagne à des organismes variés. C’est peut-être la première fois qu’ils ont affaire à des gens comme nous, un peu différents des ONG classiques.

 

A quoi correspond concrètement cette aide ?

Le deal, si nous prenions la vidéo, était de savoir quel message transmettre. Sachant que par nous-mêmes nous arrivons déjà presque à satisfaction de nos besoins alimentaires et textiles, je me suis dis opportunément que la bonne idée serait de monter d’un cran et de faire un appel aux dons. On a donc mis en place un petit bouton sur la vidéo, mais on n’est pas très doués techniquement donc ce n’est pas bien vu par les gens. Par contre, le retour est beaucoup moins important que ce qu’on imaginait, c’est de l’ordre de 2000 euros aujourd’hui en termes de récolte de fonds. Pour l’anecdote, j’ai reçu un commentaire disant « Au lieu de dépenser du pognon dans un spot publicitaire, vous feriez mieux d’offrir directement aux gens ». J’ai répondu qu’il faut bien lire : c’est un cadeau, c’est offert. « Oui, vous y croyez encore » m’a-t-il répondu. Moi j’y crois plus que prévu. Cette personne avait un regard biaisé, désabusé même si effectivement, d’autres associations ont joué aux cons par le passé.

 

La vidéo est inspirée d’une célèbre campagne, le Ice Bucket Challenge, qu’en pensez-vous ?

Ça été un gros phénomène de buzz autour d’une association qui traite de la maladie de Charcot. Le principe étant de se mettre un seau d’eau froide sur la tête et de nominer d’autres personnes pour continuer à faire tourner et récolter des fonds. Je crois que cette campagne a récolté près de 100 millions de dollars. Je me souviens que déjà à l’époque, il y avait des critiques disant qu’il valait mieux donner de l’eau froide en Afrique mais c’est toujours pareil, quand on fait quelque chose, il y a toujours du « contrisme ». Étant sur Facebook très régulièrement, j’étais surpris par les stars impliquées dans ce challenge (Mark Zuckerberg, Bill Gates, etc.) mais aussi et surtout par la difficulté de savoir quelle était l’association recevant les dons, j’ai fait le test avec plusieurs personnes et pas un n’a su. C’est le petit côté pernicieux de leur challenge, le petit côté positif étant quand même les 100 millions de dollars : clairement je veux bien qu’on oublie mon nom ! La boîte de production et Publicis sont partis du principe que les seaux d’eau n’étaient pas un challenge mais une réalité quotidienne pour certains. Du coup, ils ont retourné le concept du Ice Bucket Challenge en faisant dire au comédien : « Je ne nomine pas untel, etc. », il ne préfère pas nominer ses amis de la rue. J’ai trouvé ça très intéressant parce que réaliste : nous même, on se retrouve parfois avec eux sous la pluie…

Est-ce qu’il est possible que les sociétés finançant ces buzz aient un intérêt quelconque à le faire ?

Une entreprise classique a, via la fiscalité française, la capacité de faire des dons et que ça lui coûte moins cher que prévu, la gestion « PMU » de l’État prenant en charge la partie fiscale. (rire) C’est la loi Coluche et c’est le mécénat d’entreprise. 66% hors alimentaire et 75% quand on est dans l’alimentaire. Je ne pense pas qu’il y ait un enrichissement, par contre que des entreprises se donnent bonne conscience c’est possible. Il faut dire clairement que la cause des sans abris n’est pas la plus glamour en termes d’image, une grosse boîte aurait plutôt « intérêt » à aller vers des causes telles que celle des enfants malades ou la lutte contre le cancer. Ça peut paraitre horrible mais je parle en connaissance de cause, ces sujets donnent une image beaucoup plus positive et ceux qui regarderont ces spots auront aussi un œil beaucoup plus positif. Honnêtement, je ne vois pas ce que Publicis pourrait gagner en termes d’image avec nous. Peut-être qu’entre gens de pub, ils regardent tout ça avec un œil plus critique, mais je n’ai pas cette sensation. Si c’était la première fois que Publicis menait ce genre d’action, on se serait peut-être posé la question, mais on est vraiment sur une cohérence et une cohésion d’esprit, on pourra toujours nous reprocher le nom de Publicis… Peut-être que c’est naïf mais on a toujours des gens contre soi : ceux qui voudraient peut-être faire la même chose que vous mais différemment, ceux qui voudraient que vous ne fassiez rien et la grande cohorte des indifférents qui ne s’y intéressent pas. Si je commence à me dire que les entreprises venant vers nous ont un intérêt, je ne vais pas me faire des potes !

 

Pensez-vous que la vitalité des plateformes telles que Dailymotion ou Youtube puissent aider la charité ?

Je n’aime pas le mot « charité », nous faisons purement de la fraternité et un peu d’humanité. On tend la main aux gens dans la merde, c’est du « one to one ». ActionFroid est né via un réseau social, une campagne de publicité traditionnelle couterait trop cher ! L’avantage du web est que du plus petit au plus gros, on peut se retrouver « sur la même marche ». Ce média dilue l’information ce qui crée des espaces pour des petites structures. Ce n’est plus comme il y a dix ans, où vous deviez digérer les campagnes de télévision très médiatisées contre le cancer ou autre. Si ces organisations continuent d’exister, elles ont leurs pages Facebook au même titre que des petits acteurs. Le message en France est « le SAMU social s’occupe de tout », ce qui est une vision monolithique. Il y a plein d’autres organisations, souvent alimentées par des subventions publiques. Notre différence est que nous ne voulons pas de cet argent car il est hors de question que nous soyons délégués à une mission publique. On le fait uniquement parce qu’on a décidé de le faire. Quand d’autres ont besoin de structurer et recrutent sur CV et lettre de motivation, nous c’est « t’es là samedi, tu t’inscris ». On est à l’envers.

 

En tant qu’acteur du concret, quel regard portez-vous sur le monde des médias ?

On a reçu notre film le 20 novembre 2014, le 30 commençait la campagne des Restos du Cœur. Nous on était sur YouTube tandis que les Restos du Cœur recevaient le Premier Ministre. On est moins connus. Les médias ont un pouvoir énorme : après notre une du journal Le Monde, il fallait surfer sur la vague. Nous sommes tous complètement bénévoles, on a un boulot à côté, c’était donc assez crevant d’assurer ce travail médiatique. Le travail journalistique peut être parfois superficiel mais il contribue à ce qu’on arrive à des endroits auxquels nous ne pouvions prétendre sans leur passage. ActionFroid a été invité lors du lancement de la cause nationale de l’engagement cette année. Être reçu à l’Élysée c’est pas rien, même si je n’ai pas relayé cette information : ni religion, ni politique au sein de la maison. Si les médias nous invitaient tous les ans, on deviendrait une institution, ça me plairait moins. Il y a des passages et c’est bien comme ça, en tout cas ça nous a rapporté énormément de bénéfices : des BÉNÉVOLES. Des gens m’ont clairement dit « j’ai vu cet article, j’ai entendu telle émission, je veux en savoir plus ». La diffusion apporte un regard de la part de gens qui ne nous trouvaient pas voir ne nous cherchaient pas.

 

Comment se porte l’association aujourd’hui ?

Malheureusement bien. (rire) On ne rêve que de fermer les portes parce qu’on aurait plus de travail à accomplir. Nous, en tout cas, on va forcément bien parce qu’on décide individuellement d’aller porter secours. On ne porte pas d’uniforme, on n’a pas de mission, on se réunit et chacun est autonome. Aujourd’hui, on doit avoir douze antennes permanentes en France. On sait bien qu’on aura moins de bénévoles aux mois de Mai et Juin, mais d’autres prendront la place. On travaille sur l’aspect disponibilité des bénévoles qui choisissent leur propre rythme. ActionFroid n’est pas un opposant à ce qui existe déjà, c’est un complément car pour assainir la situation de grande précarité dans laquelle on est, il faut qu’on soit nombreux. Il ne suffit pas juste de mettre la main au porte feuille, il faut faire une démarche individuelle et plus les bénévoles se sentiront soutenus, plus ça fera boule de neige. N’hésitez pas à voir ce qu’il se passe vraiment à travers notre association qui est d’origine citoyenne, même si ce n’est pas un label Rouge. C’est la récupération simple du territoire par les citoyens, pourquoi laisser faire l’État ? Demain quand vous perdez votre boulot ou qu’un membre de votre famille se casse la gueule, on espère qu’ils ne vont pas lui mettre un coup de talon, qu’ils vont plutôt lui tendre la main. C’est ce qu’on fait naturellement, donc « Citoyens, bougez-vous ». C’est simple.

 

Visitez le site d’ActionFroid, vous pourrez y suivre leur actualité et participer aux actions : www.actionfroid.org
Retrouvez-les aussi sur leur très complète page FACEBOOK

Stève Albaret

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