L’histoire du cinéma montre que chaque metteur en scène a sa manière de travailler avec les acteurs : la direction au millimètre d’un Bresson ou d’un Hitchcock, le travail sur l’improvisation d’un Scorsese, les non professionnels de Kiarostami… Une chose est sûre, l’acteur a une place centrale dans le cinéma, Orson Welles rappelle d’ailleurs dans ses entrevues avec Peter Bogdanovich que le rôle du comédien est souvent sous-estimé. Il est pourtant central ce qui explique certainement sa double casquette de réalisateur/acteur. Pour aborder concrètement la question de l’acteur au cinéma, nous avons interviewé Maxime Hermet, réalisateur du court-métrage de fiction La Belle et le Vertige. Il y met en scène plusieurs acteurs chevronnés dont la présence soutient une intrigue éthérée et fait toute la saveur du film. Un exemple excellent pour comprendre l’importance de l’acteur.
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Pourrais-tu nous présenter ton film ainsi que le contexte de sa production ?
La Belle et le Vertige est mon film de fin d’études, réalisé en 2013. C’est un court-métrage de fiction, tourné en noir et blanc, dont la première version du scénario a été écrite en 2008. Le film a été produit par l’association Oxymore, créée spécialement pour le film et qui a principalement servi à récolter les fonds pour la production. Enfin, comme c’est le cas pour de nombreux projets de courts-métrages, il y a une part d’autoproduction. Oui, c’est la première fois que je m’entoure exclusivement de comédiens professionnels pour un film.
D’où t’es venue l’idée d’utiliser des habituels seconds rôles du cinéma et de la tv ?
Tout d’abord, plus que le parcours cinématographique ou télévisuel de chacun, je crois que le lien entre tous les comédiens de ce film est la richesse de leur expérience théâtrale. Ce rapport au théâtre est précieux pour moi, parce qu’il est la promesse d’une technique de jeu précise et vivante. C’est ce que je recherchais pour ce film. Lorsque j’ai commencé à songer à la distribution, je souhaitais simplement m’adresser à des comédiens professionnels en espérant qu’ils accepteraient de m’accompagner dans cette aventure un peu folle. Comme j’avais une idée précise des physiques de mes personnages – des visages surtout – j’ai passé plusieurs semaines à fréquenter les sites d’agences artistiques en consultant les trombinoscopes des comédiens représentés. Ainsi, j’ai constitué un book d’une dizaine de profils pour les rôles principaux, en me focalisant d’abord sur les visages, ce qu’ils pouvaient évoquer en moi. Est-ce que tel ou tel visage pouvait devenir mon personnage ? J’ai passé ainsi beaucoup de temps à contempler les visages de ces comédiens, à les imaginer emprunter les attitudes des personnages. C’est dans un second temps que je prenais connaissance du parcours artistique des comédiens. Donc en aucun cas le CV ne fut un critère absolu pour moi. Je reconnais la particularité de cette méthode de recherche. Avec le recul, je trouve que c’est un peu fou comme procédé, se contenter d’une photo et de quelques expressions saisies sur le vif. Mais en même temps, quand je vois le résultat, je suis très satisfait. La qualité de la distribution est la première réussite de ce film, à mon sens. Il n’y a qu’avec Jean-Claude Dreyfus que les choses se sont faites différemment. J’avais vu les principaux films dans lesquels il avait joué. J’avais en mémoire ses performances massives – comment oublier le boucher de Delicatessen ? – et je l’imaginais parfaitement endosser le costume de mon personnage. De plus, je savais que Jean-Claude Dreyfus acceptait de tourner de temps en temps dans des courts-métrages. Je l’ai donc contacté directement pour lui soumettre ma proposition. Il a été très sympa, il a tout de suite accepté. C’est le premier comédien que j’ai rencontré et sans qu’il le sache, c’est lui qui m’a insufflé l’énergie pour mettre en route la production de ce film. Jean-Claude Dreyfus est un personnage en lui-même, doté d’un charisme implacable. Il était très pris à l’époque du tournage et nous avions réussi à rassembler tous ses plans sur une seule journée. Je me souviens, quand il est arrivé, l’atmosphère sur le plateau est devenue différente. Il y avait moins de bruit, comme si chaque membre de l’équipe s’imposait un silence respectueux. Monter les projecteurs, déplacer les éléments de décors, donner les ordres et tous les gestes habituellement bruyant devenaient sobres et délicats, comme effectués en sourdine. L’une des premières choses que Jean-Claude Dreyfus m’a dite en arrivant sur le plateau fut de lui donner les indications, de lui dire ce qu’il devait faire. Je pense qu’il cherchait avant tout à me mettre en confiance, parce qu’il savait parfaitement ce qu’il devait faire. Avant le tournage, je me suis beaucoup interrogé sur la manière dont je devrais « diriger » les acteurs. Comment se sentir légitime pour donner des indications à tous ses comédiens chevronnés ? C’est grâce aux répétitions et aux nombreuses discussions avec les comédiens en amont du tournage que j’ai pu me sentir en confiance et envisager sereinement mon rôle de metteur en scène.
Comment s’est passé ton casting ?
Je n’ai pas fait de casting, au sens où on l’entend de manière générale. Sur de précédents projets, j’avais trouvé l’exercice froid, frustrant pour moi et certainement violent pour les comédiens. Pour ce projet, j’ai préféré privilégier la convivialité, en organisant des rencontres chez moi ou dans un café. Ces rendez-vous duraient parfois assez longtemps. On parlait de tout. Du film, bien sûr, de l’histoire, du personnage, du cinéma en général et puis d’autres choses encore. Au terme de ces rencontres j’organisais des essais filmés. Je n’ai pas rencontré énormément de comédiens puisque j’ai eu la chance de trouver rapidement mes personnages. Par exemple, je n’ai vu que deux autres comédiens avant de rencontrer Alexis Desseaux qui joue le rôle principal.
Ton film est très fellinien, avec un scénario très irréel, du coup les acteurs doivent porter le film n’est-ce pas ?
Merci beaucoup pour l’adjectif. L’œuvre de Fellini est effectivement une référence importante pour ce film, en particulier Huit et demi. Mais je pense que ce serait présomptueux de ma part d’accepter la filiation. Il n’y a de fellinien que Fellini lui-même. Il fait partie de ces auteurs uniques et inimitables qui ont inspiré et inspirent encore de nombreux jeunes cinéastes. Je dirai plutôt que La Belle et le Vertige est un geste d’inspiration fellinienne. Tu as raison, La Belle et le Vertige présente un scénario « d’ambiance », où l’univers prime sur les péripéties. Il était donc important que les acteurs s’insèrent dans l’univers que je tentais de créer. Je dirais que la réussite du film dépendait de cette alchimie entre les comédiens (donc les personnages) et l’univers mis en place. Les démarches et les attitudes des uns et de autres devaient s’inscrire dans la logique de l’environnement onirique du film. Avant le tournage, nous avons organisé des répétitions où nous discutions longuement des personnages et des intentions de mise en scène. Je me rappelle notamment de longues discussions avec Alexis Desseaux, pendant lesquelles nous travaillions sur le personnage principal afin de définir au mieux ses motivations, ses obsessions et ses peurs. Puis nous cherchions la tonalité du film. Nous avons parfois tenté des choses extravagantes qui nous ont servies à mieux cerner l’ambiance du film. Avec Marc Schapira et Mour, qui interprètent respectivement Blanc et Auguste, le travail lors des répétitions a été axé sur la recherche d’attitudes propres à chacun. Puisqu’ils devaient créer un duo avec des valeurs de domination/soumission, il devait y avoir un langage d’expression corporelle précis entrant en conflit : l’un autoritaire, se tenant droit, avec des gestes précis (Blanc) ; l’autre perturbateur, agité, ne tenant pas en place, avec des gestes ronds (Auguste). C’est tout ce travail qui m’a aidé à mieux appréhender les personnages, mais aussi à mieux exprimer mes intentions. A mon sens, c’est l’un des principaux défis pour un réalisateur : transmettre ses intentions aux acteurs et aux techniciens, et ce le plus clairement possible. C’est ce qui fait la réussite d’un film. Si le metteur en scène ne parvient pas à traduire ses intentions, son film ne sera alors qu’une succession d’idées désincarnées.
La façon de filmer les acteurs met bien en valeur l’expressivité des visages, comment tu as pensé les prises de vue ?
Avec Jimmy Boutry, le chef opérateur, nous avons longuement discuté du découpage technique. J’avais envie de m’autoriser une certaine liberté sur le plateau, ne surtout pas m’encombrer avec des installations trop complexes qui auraient figé la mise en scène. De ce fait la plupart des plans ont été réalisés à l’épaule. Parfois, d’une prise à l’autre, nous changions l’échelle du plan dans une démarche d’expérimentation. Une des intentions était également de constamment perturber les repères des spectateurs. Il fallait donc déconstruire l’espace et rompre la monotonie du décor tout en accompagnant les mouvements des personnages. Une des brillantes idées de Jimmy Boutry, fut de créer les effets spéciaux au moment du tournage, avec un système de miroir à facettes, de projecteurs en mouvement ou encore de lentille déformante. Ainsi, mise à part un plan ou deux, l’ensemble des effets spéciaux que vous pouvez voir dans le film a été créé lors des prises de vues, dans l’esprit des effets spéciaux créés par Georges Méliès pour ses films. Ça a donné un côté début du XXème siècle au tournage, ce qui était assez magique.
Le décor a aussi un rôle dans la mise en valeur des acteurs ?
Oui, là aussi le travail sur le décor fut une étape importante. La décoratrice Alice Breton a été la première personne que j’ai rencontrée sur ce projet. Nous avons beaucoup travaillé pour tenter de donner une singularité esthétique au film, tout en faisant attention à ce que les comédiens puissent évoluer dans un décor qui ne les « avalerait » pas. La difficulté était ainsi de conférer au décor une discrète originalité. Nous sommes passés par plusieurs étapes, il y a eu des hauts et des bas, notamment parce que c’était la première fois pour moi que je me penchais sur la création d’un décor, qui plus est un décor imaginaire à forte empreinte onirique. Au final, nous avons choisi d’utiliser de grandes pièces de tissus pour former l’espace mental du personnage principal. Puis sont venus les autres éléments pouvant évoquer l’idée du théâtre : rideaux, cordes, poutres, scène, etc. Il me semble qu’au final nous avons réussi notre pari : un décor sobre et en phase avec la particularité du film.
Un mot sur la musique ?
La musique du film a été composée par Damien Deshayes. C’est une partition qui mélange une structure jazz et des éléments d’expérimentation. Avec Damien, nous avons voulu accompagner le personnage principal dans son errance psychologique, tout en se permettant d’ajouter des sonorités incongrues et décalées.
A un niveau purement budgétaire, que représente la participation de tels acteurs ?
La rétribution des comédiens représente ce je pouvais leur offrir de mieux : quelques bouteilles de vin (avec modération), de bons repas et une table régie toujours bien fournie. Et surtout ma reconnaissance éternelle ! Plus sérieusement, tous les comédiens ont participé bénévolement au projet, comme l’ensemble de l’équipe technique. J’en profite pour remercier toute l’équipe et les comédiens pour leur investissement, car évidemment sans eux le film n’existerait pas.
L’idée de faire un court-métrage leur était elle plaisante ?
Oui, je crois. Autrement ils n’auraient pas accepté. Ce qui leur a plu, c’est en tout cas ce qu’ils m’ont dit, c’était le défi que représentait le film, avec la création de cet univers particulier et autonome. Lorsqu’on s’est rencontrés avec Mour (Auguste), il m’a tout de suite dit que le personnage que je lui proposais lui semblait très intéressant car à mille lieux de ce qu’il avait fait jusqu’à présent ou de ce qu’on lui soumettait habituellement. Et je crois qu’il a pris un vrai plaisir à travailler et à proposer sur ce personnage, bien qu’il fut douloureux pour lui de se voir affubler de cette coupe de cheveux improbable…
Penses-tu qu’une production indépendante soit un bon moyen pour un second rôle de mettre en valeur ses qualités ? Notamment pour Alexis Desseaux qui est très connu pour son rôle dans Julie Lescaut.
Oui, je pense que pour n’importe quel comédien il est important de pouvoir s’investir de temps en temps sur des projets indépendants, de longs ou de courts-métrages. Récemment, j’ai vu un court-métrage dans lequel jouait Gérard Depardieu. C’est la preuve qu’il ne faut rien négliger. À l’époque où j’ai rencontré Alexis Desseaux, il souhaitait prendre ses distances avec son personnage de la série que tu cites. Je crois même que son personnage est « mort » quelques mois après que nous ayons tourné ensemble. Je me souviens qu’Alexis voulait davantage s’investir au théâtre et dans le cinéma. C’est pourquoi il était très attentif à l’actualité du court-métrage et qu’il étudiait soigneusement toutes les propositions.
Le film a eu une vie en festival ? Le travail avec les comédiens a t-il été salué ?
Le film a été sélectionné dans 5 ou 6 festivals. Il n’a pas obtenu de récompenses, mais j’ai pu notamment en parler avec Patrick Brion (Le cinéma de minuit sur France 3), qui était membre du jury dans un de ces festivals et qui a salué la mise en scène et la distribution.
Quid de la suite de ta carrière ?
Je mène plusieurs projets de front en ce moment. Un premier qui est développé par une société de production. Nous sommes actuellement en phase de financement. Un deuxième qui est en recherche de producteur. Et un troisième qui est en cours de coécriture avec un ami. Pour la première fois j’écris pour un réalisateur. C’est une approche de l’écriture que je trouve très enrichissante, puisque je dois être attentif à ce que veux raconter le réalisateur tout en proposant des choses qui puissent s’insérer dans l’univers du récit.
En guise de conclusion, est-ce que tu peux expliquer ce que travailler avec ces acteurs t’a apporté ?
J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir travailler avec tous ces acteurs qui se sont pleinement investis tout au long du projet. Sur le plan personnel, cette expérience m’a apporté de la confiance et m’a permis de mieux appréhender le travail de la mise en scène : traduire au mieux ses intentions ; aider à apprivoiser le personnage ; être à l’écoute de ce que le comédien peut apporter.
Stève Albaret